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Quoi de neuf ?

Avec Facebook, le réel et le virtuel sont aujourd’hui imbriqués et interdépendants, s’alimentant ou s’annulant mutuellement. La moindre petite action sur le réseau peut influencer les vraies relations. Le virtuel encourage et favorise aussi les rencontres réelles, et les liens créés sont immédiatement forts.

Car Facebook est un miroir de nos valeurs, nos pensées, nos croyances, nos talents. Mais aussi de nos indignations, nos colères, nos faiblesses, nos bêtises. Le contact entre ces deux univers parallèles peut créer certains paradoxes… En voici quelques-uns:

Le virtuel alimente le réel.
Quand on voit ses amis, on parle de ce qu’on a publié sur Facebook et des conversations que l’on y a tenu.

L’absence virtuelle doit être justifiée.
Quand on veut s’éloigner un peu de Facebook, on appelle ses amis pour les prévenir, pour qu’ils ne s’inquiètent pas.

Le sentiment de connaître l’autre permet d’aller à l’essentiel, mais casse le plaisir de la découverte.
Quand on rencontre pour la première fois un de ses amis Facebook, tout ce qu’on raconte sur soi se voit immédiatement commenté par un « je sais, je l’ai vu sur ton profil ».

Nos actions sur Facebook sont disséquées, interprétées.
Un simple « like » devient une reconnaissance de l’autre, une manière de montrer qu’on pense à lui/elle. De même, l’absence de « like » peut être perçue comme de l’indifférence, un abandon.

Le privé ne nourrit d’une exposition publique.
Une message que l’on veut adresser à une seule personne se trouve amplifié et prend des allures dramatiques sous la forme d’un statut cryptique lâché publiquement. Paradoxalement, le fait que tous peuvent le voir mais sans pouvoir le comprendre procure un plaisir pervers à celui qui le publie.

L’expression « quoi de neuf? » n’a plus de sens.
Quand on se voit, on le sait déjà. Les photos de vacances, le statut sur sa grippe, ou les affres de la rupture ont déjà été publiés.

Le trou de la serrure

Je ne te connais pas, tu ne me connais pas.

Le lien virtuel est ténu, pour ne pas dire inexistant. Je suis un nom et un visage figé parmi des centaines d’autres, et tes publications apparaissent parfois par hasard sur mon mur Facebook. Je ne suis pas ton amie, je n’ai aucun conseil à te donner, et pourtant je te tutoie. Car ton nom qui passe dans ce flux incessant fait partie, dans une moindre mesure, de ma vie virtuelle. Au gré de tes coups de gueule et de tes états d’âme, tu m’as donné de quoi te connaître un peu, ou en tout cas de connaître ce que tu veux bien montrer de toi. 

Et c’est là le noeud du problème. Pourquoi partages-tu avec moi, et les autres, des choses qui devraient rester de l’ordre de l’intime? Tu as le coeur brisé, et tu le cries. Tu ne sais pas que je suis là, mais je t’entends. Ou plutôt je te lis. Les détails affluent au gré des commentaires. Je pourrais être assise à côté de toi dans le bus, et t’entendre malgré moi raconter ta rupture au téléphone à ta meilleure amie. J’en serais tout aussi gênée, mais au moins je n’entendrais pas les réponses. Là, je vois tout, je sais tout. Tes doutes sur ta capacité à être aimée, le manque de dialogue, l’incompréhension suite à son départ, tes résolutions manifestées sous l’emprise de la colère, les réactions outrées ou rassurantes à ton égard, les conseils qui partent dans tous les sens, les petits coeurs qu’on t’envoie pour te consoler. Tout. 

Tu as volontairement, par ta publication et tes réponses de plus en précises aux nombreux commentaires, impliqué des inconnu-e-s dans ta souffrance. Elle m’a sauté au visage en ce dimanche cotonneux sans que je puisse m’en protéger. Mais je te l’avoue, au lieu de zapper, j’ai lu. J’ai regardé par le trou de la serrure. Je m’en veux un peu de ma curiosité mal placée, certes, mais le trou est immense, et ne laisse que peu de zones d’ombres. 

Que puis-je en faire, que dois-je en faire? Ajouter ma voix (ou plutôt mes mots) à la cacophonie des conseils? Ou me taire, embarrassée de ce partage qui ne me regarde pas? J’ai choisi de te parler indirectement dans ce billet, sans te nommer. Pour te dire d’appeler tes amis, de les voir, pour qu’ils te prennent dans leurs bras et te consolent. Pour qu’ils te disent que, oui, tu peux être aimée. Moi je ne peux pas le faire, je ne te connais pas, tu ne me connais pas.

Se regarder vivre

On se suit. Pas dans la rue, non. Pas de pas pressés qui battent le bitume, de talons qui claquent, de regards furtifs, d’accostages, de rencontres. On se suit, mais sur facebook, Twitter, Instagram, Pinterest, Google+ même, pour les plus solitaires. On se regarde vivre, et par là on croit se connaître. Parfois même on se connaît vraiment, mais on ne s’appelle pas, on ne se voit pas. Nul besoin, puisqu’on se suit.

En pathétiques et vaines gesticulations rythmées par les clics de souris et les touches effleurées, ces êtres au teint bleui par la lumière artificielle ne poursuivent que des ombres, des reflets, des écrans de fumée. Ils ne cernent rien, ne saisissent rien entre leurs doigts endoloris. Les présences virtuelles, en mots qui enjolivent et images qui mentent, leur glissent entre les phalanges.

Tous ces courts métrages de présents pétris d’exagérations et de faux-semblants sont projetés en miroir, à destination d’amis suiveurs avides. On se rassure, on remplit des murs, on jette des pensées pré-mâchées en pâture, on montre tout ce qu’on voit, filtré, encadré, et en format carré. Tout se ressemble, se mélange. Mais ça remplit son office, celui de remplir tout court.

Le sens, pixellisé, s’est dilué, puis perdu. Mais tant qu’on se suit, on garde l’illusion du lien, et on contourne sa solitude. On ne s’est pas appelés, on ne s’est pas vus, on ne s’est pas humés, on ne s’est pas touchés, on ne s’est pas aimés. On se regarde vivre.

J’aime

Facebook a changé la donne des relations hommes-femmes. Le réseau social a ouvert une multitude de contacts et d’échanges potentiels, du virtuel au réel. On y « aime » à tour de bras, et parfois, à force, on y a le coeur qui bat. Cela peut durer une seconde, le temps d’une image ou d’un mot qui nous touche. Mais aussi se prolonger, se développer en des sentiments plus profonds.

Mais la dérive n’est jamais loin. On peut facilement voir des choses là où il n’y en a pas, et interpréter un « j’aime » comme une marque d’intérêt pour soi alors que ce n’est finalement qu’un intérêt passager pour une publication. De même, l’absence de commentaire ou de « j’aime » peut-être perçu comme un manque d’attention. La personne concernée se sent mal aimée, délaissée, ignorée, et cela peut créer de la frustration, de la colère, de la tristesse. Ces interprétations hâtives et souvent erronées peuvent facilement déboussoler une personne fragile ou en recherche maladive de reconnaissance. 

Une récente étude allemande rapportée par le Nouvelliste révèle que « les membres de Facebook seraient souvent jaloux de leur amis et malheureux ». Jaloux des amitiés ou des amours qui semblent glorieusement s’afficher (même si la réalité est tout autre), des photos de vacances, du nombre de messages postés pour un anniversaire, du nombre de « J’aime » ou de commentaires sous une publication. Que tout cela soit au fond du vent et de nature éphémère n’entre pas en ligne de compte, les émotions étant, elles, réelles. 

Le virtuel infiltre le réel, et inversement. Quand on est sur Facebook on y parle de sa vie, et autour d’un verre, on se surprend à parler de Facebook. Comment faire la part des choses, et maintenir des frontières claires? Cela demande une discipline et une attention de tous les instants. S’auto-censurer quand on a envie d’y crier sa rage ou son bonheur n’est pas aisé, tant il est tentant d’utiliser cet outil addictif comme exutoire des émotions qui peuvent nous submerger. En partageant à tâtons mais à tue-tête, on se libère, certes, mais on se met un nouveau fardeau sur les épaules, celui de l’exposition publique de sa vie privée, qui se trouve commentée, discutée, disséquée, et rapportée à d’autres. La recherche d’un réconfort ou d’une gratification illusoires s’y paient cash. 

Présente sur le réseau social depuis 2007, j’ai vu en cinq années d’activité (comme beaucoup d’autres adeptes de Facebook sans doute), des couples se former grâce aux contacts facilités ou d’autres se défaire à cause d’une jalousie mal placée, des drames se jouer en public, des secrets être malencontreusement ou intentionnellement révélés. J’ai vu des amitiés exploser sur un malentendu, des débats virer à l’insulte puis à la plainte, des réputations être écornées par la diffamation ou la caricature. Mais, fascinée malgré tout par la puissance inégalée de cet outil qui distord, malmène ou cimente (parfois, tout de même) les relations sociales ou amoureuses, vous m’y retrouverez toujours quotidiennement!

http://www.facebook.com/catherine.armand

Instagram, ou l’éloge de la banalité

« Arrête de tout prendre en photo avec Instagram, c’est nul! » me lançait souvent mon fils de 17 ans, avant de faire lui-même l’acquisition d’un Smartphone de dernière génération. Depuis, nous partageons notre addiction, échangeons nos « œuvres » par bluetooth en pleine randonnée, et « likons » mutuellement nos clichés sur le réseau social de partage d’images carrées ultrafiltrées. 

Ce qui ne veut pas dire pour autant que nous nous prenons pour de grands photographes, ce qui semble être le reproche principal que nous adressent les allergiques. « Ne pensez pas être des photographes parce que vous utilisez Instagram » nous tance même « grandma » via ses fameux « social media tips ». Mais qui a dit que c’était le cas? Prétendons-nous être de grands artistes? Non! Nos photos sont-elles de qualité inégale, ou même souvent inintéressantes au possible? Oui, peut-être, et alors? 

Ce dont les détracteurs d’Instagram semblent manquer, c’est de légèreté, et de distance. Eux se considèrent probablement comme de vrais photographes, car dotés de vrais appareils, et, pensent-ils, de vrai talent. « Quête d’un vintage de pacotille pour enrober de joli la platitude de sa vie », balance même le célèbre bloggeur français Seb Musset, très remonté contre l’application photo et affichant un mépris certain pour ses nombreux utilisateurs.

Effarés par la démocratisation, ou la banalisation, des outils permettant de réaliser (trop) facilement de jolies photos, les puristes montent sur leurs grands chevaux, brandissent leurs icones et arguments argentiques, hurlent que les utilisateurs d’Instagram « ne réfléchissent pas, shootent n’importe quoi au hasard, puis se reposent sur les effets, sur la post production prémâchée ». Transmettre l’émotion, capturer l’instant ou la lumière, avoir la capacité de sublimer le sujet ne peuvent, ou en tout cas ne devraient pas, être accessibles à tous. Malheureusement pour eux, des outils de plus en plus simples mais néanmoins performants existent, et sont offerts gratuitement à  la « populace », celle qui ne devrait pas saisir à tout va, tout au plus admirer.

C’est vrai, sur Instagram, le résultat après traitement est souvent plus important que la pertinence du sujet. Et c’est tant mieux. Ainsi, n’importe quel objet ou situation du quotidien peut devenir « art ». Car l’art n’est-il pas justement une intention, une représentation, dont le sens ne prend forme qu’à travers celui qui propose? Alors oui, l’art peut s’accommoder de la facilité ou de la quantité. Oui, cette masse d’utilisateurs de Smartphones peut parfois toucher au sublime. Des émotions face à une situation, un paysage ou un objet, ils en ressentent et savent les transmettre. Souvent, ils parviennent à nous toucher.

Par le contraste, le filtre, le cadre, le vieillissement artificiel, le photographe du rien ou du banal livre malgré tout son message. Il superpose ses rêves, ses fantasmes, ses souvenirs ou sa nostalgie à la réalité. Il sature un ciel pour traduire une émotion forte face à la beauté des nuages, il vieillit artificiellement une photo de ses enfants par nostalgie anticipée, sachant à quel point ils vont grandir trop vite, il « floute » un environnement pour mettre en exergue un détail, il immortalise ses propres pieds dans le sable pour dire son bonheur d’être enfin en vacances… L’insignifiant devient significatif, pendant un instant, dans son regard. Qu’il immortalise une faille dans un mur, un rail de tram, un tag, un toit d’immeuble se découpant sur fond d’azur, ou un papier gras au sol, peu importe. Il dit, il montre, et donc il crée, à sa manière.  

Tous ces tapotements fébriles sur écran tactile, répétés encore et encore par des millions d’utilisateurs peuvent certes être interprétés comme une danse digitale grotesque, une uniformisation de l’image ou de la pensée, mais n’est-ce pas plutôt un nouveau mode d’expression, une nouvelle mise en forme de notre imaginaire? Montrer le monde qui nous entoure, même dans ses aspects les plus triviaux, via tous ces filtres, ne signifie-t-il pas tout simplement « voici le monde tel que j’aimerais le voir »? Un monde aux couleurs trop intenses ou volontairement fanées, aux ciels irréels, aux détails sublimés, avec de la beauté surgissant dans les endroits ou les situations les plus banales. Un monde dans lequel même la laideur, la saleté ou le vide prennent un sens esthétique. L’image est sacralisée, saturée d’émotions, finalement presque en état de grâce. Et paradoxalement, toutes ces manipulations artificielles ne visent qu’une chose: plus d’authenticité, plus d’adéquation entre le ressenti et le réel, qui n’est pas toujours à la hauteur de nos attentes. 

Alors, bien sûr, on est en droit de remettre en question la valeur de ces images, valeur hypothétiquement amoindrie par l’accès direct aux outils, par la facilité de capture et de traitement à partir d’une choix restreint de filtres prédéfinis, et pour finir, par l’abondance des images partagées. Quoi qu’il en soit, parmi la masse énorme de clichés postée sur le réseau social mobile, on trouve bon nombre de pépites, et on peut constater avec bonheur que le talent caché n’attendait parfois que le média adapté pour s’exprimer. Alors, n’en déplaise à Seb Musset ou à « grandma », nous les utilisateurs d’Instagram prenons du plaisir à brandir notre Smartphone devant notre assiette, nos pieds, dans la rue, puis recadrer, contraster ou flouter le tout, avant de partager nos « œuvres ». Le tout sans prétention aucune! 

La peur du vide virtuel

Etranges réactions que celles constatées après avoir entièrement vidé mon profil facebook de 5 années d’activité intense. Incompréhension, méfiance, regrets. Mais aussi félicitations et remerciements de donner cette impulsion, cet exemple. Ne maintenir que 2 ou 3 publications, et supprimer au fur et à mesure les posts datant de plus de 24h n’est pas anodin. On impose un nouveau rythme, celui de l’instantanéité, sans histoire, sans traces. Et ça dérange. Sur facebook, on aime garder, compiler. On aime fouiller, chercher, retracer, parcourir. On aime surveiller, espionner. Par là, on croit connaître, maîtriser.

Il semble que certains se sentent dépossédés ou même trahis par la suppression quotidienne de mes publications. On coupe net des conversations lancées sur notre mur. On ne laisse pas le temps aux retardataires de réagir. On accueille les visiteurs dans une zone qui devrait nous mettre à nu, mais qui se révèle presque, ou totalement, vierge. Et cela donne le vertige aux amis virtuels, parfois.

Ils pensaient découvrir facilement qui on est, ils n’en sauront rien, ou si peu. Notre histoire est redevenue la nôtre. Les preuves de nos états d’âme, de nos coups de gueule comme de nos coups de coeur, ont disparu. Seuls nos vrais amis, ceux qui les ont vécus avec nous, en vrai, s’en souviennent. Aucun CV compromettant pour les employeurs potentiels, aucune révélation croustillante pour les journalistes curieux, aucune information personnelle pour les dragueurs du net. Mais des échanges tout de même, des partages, au jour le jour.

Avec cette nouvelle approche, assez peu courante sur les réseaux sociaux, je nage dorénavant à contre courant. Elle m’a été inspirée par un autre profil, qui m’avait déstabilisée quand je l’avais découvert, il y a près de trois ans. Mais fascinée aussi. Aucune prise, sinon quelques photos. Présent sur le réseau social, tout en gardant une part de mystère. Tant à découvrir de l’autre, sans la petite phrase parasite, qui ponctue -et interrompt parfois- les conversations d’un « oui, je sais, je l’ai vu sur ton profil facebook ».

Ce contrôle de mon image virtuelle me titillait. C’était pour moi un objectif à atteindre. Un jour, je l’effacerai entièrement. Ce sera un lâcher-prise salutaire, lorsque j’aurai admis que ce que je suis va bien au-delà de ce que je montre. Et que ne rien montrer ne signifie pas ne pas être.

La prise de conscience a été difficile, dans un contexte houleux. Mais c’est chose faite, et je n’ai plus peur du vide virtuel.

Nue dans le « journal »

Aujourd’hui, la ligne de vie n’est plus dans la main, mais sur Facebook. Depuis quelques jours, la Timeline (ou journal en français), vous permet de transformer votre profil en une frise chronologique présentant un condensé de votre vie depuis la naissance. Non, pas de votre VIE, juste de l’histoire de votre vie connue de Facebook, telle que vous avez bien voulu la dire.

La Timeline démarre donc par votre naissance. Pour ensuite volontairement afficher un énorme trou entre celle-ci et votre inscription à facebook, laissant le sentiment qu’avant votre arrivée sur le réseau social, vous n’avez pas vraiment existé. Ce trou perturbant, vous pouvez même le combler, publier vos photos d’enfance, reconstituer votre vie pré-internet. Nourrir le monstre Facebook de tout ce qu’il n’a pas pu encore attraper, de tout ce qui a précédé son avènement. Car Facebook n’aime pas que vous ayez existé avant lui, c’est évident.

Ainsi, entre 1966 et fin 2007, pas d’amis virtuels, pas de partage de mes humeurs, de mes photos, de mes situations amoureuses. Et je suis bien heureuse d’avoir vécu les moments les plus marquants de ma vie à ce jour (mon mariage, la naissance de mes enfants) sans réseaux sociaux pour s’en faire l’écho. Etant une « hypercommunicatrice » (c’est mon métier après tout), je n’aurais certainement pas résisté à la tentation de tout partager online… bébé no1 qui se renverse un yaourt sur la tête, bébé no2 qui barbote dans la piscine, mari no1 qui pose devant un coucher de soleil. Tous ces souvenirs sont à moi, et uniquement à moi, bien rangés dans des albums physiques, sur une étagère. Et quand mes amis viennent à la maison, je ne les leur mets pas sur les genoux pour qu’ils les parcourent.

Oui, j’ai existé entre 1966 et 2007. Non, vous n’en saurez rien.

Mais plus j’avance en âge, plus mon passé (celui d’avant 2007 donc) devient flou, et les repères moins nombreux. Mes souvenirs se focalisent de plus en plus autour des photos, des lettres. Certains moments de vie dont il ne reste pas de trace physique commencent à se dissoudre et se perdre. Dès lors, ma Timeline rend ces dernières années d’une clarté que je n’ai jamais connue. Chaque publication est le point de départ d’une multitude de souvenirs, d’émotions partagées. Et les petits trous entre deux publications sont plus facilement comblés par mon cerveau stimulé par les impulsions de cette biographie numérique.

Ce passage de mon profil facebook à la forme de « journal intime » aura eu au moins un mérite: celui de m’ouvrir les yeux sur la quantité d’informations personnelles que j’ai pu partager volontairement avec mes (trop) nombreux amis virtuels. Inspirée par un de mes amis dont la Timeline est entièrement vide et qui supprime ses statuts après quelques heures, grande est la tentation de l’imiter, de tout effacer, tout vider.

En attendant, petit à petit, je nettoie cette Timeline indécente qui me met à nu. Je la purge des états d’âmes, des états amoureux, des émotions, pour n’y laisser que des informations sans conséquences. Un jour, je l’effacerai entièrement. Ce sera un lâcher-prise salutaire, lorsque j’aurai admis que ce que je suis va bien au-delà de ce que je montre. Et que ne rien montrer ne signifie pas ne pas être.

Facebook ou la mis en scène de sa propre vie

Son existence triée sur le volet, élaguée des mauvaises herbes pour se faire envier.

Ou au contraire épanchement malsain de tous ses maux pour se faire plaindre et croire se faire consoler.

Les compliments qu’on se fait, les approches amoureuses qu’on tente, les rendez-vous qu’on se donne, les lendemains qu’on commente, les conflits qu’on étale, les ruptures qu’on consomme. Sans pudeur, sur un mur.

Sa vie amoureuse notifiée au gré des fluctuations des « en couple » et des « célibataire », qui se suivent, se colportent.

Avouer que « c’est compliqué », comme si ça ne l’était pas toujours.

Ses photos de vacances, étalées comme dans une nostalgie des soirées diapos interminables des années 80, avec des amis pris en otage, sourires figés et commentaires contraints faussement émerveillés.

Ses enfants, son chien (mais plus souvent son chat), sa moto, son couple… choisis pour se définir, se profiler d’entrée.

Ses amis, étiquetés et catégorisés selon le degré d’intérêt qu’on leur porte. Devoir s’avouer ainsi qu’on se fout de ce que certains qui nous apprécient ont à dire, à montrer.

Ses ennemis, tout autant triés, dont on suit le flux pour y déceler des failles et s’y engouffrer.

Le lieu où « j’aime » ne veut plus rien dire. Aimer, aimer tout et surtout n’importe quoi, tout le temps, partout, chez n’importe qui.

Sauver d’un click la planète, les océans, les enfants qui meurent de faim. Ne pas oser ne pas cliquer, de peur de passer pour un salaud sans coeur.

Dénoncer les injustices et s’indigner sans effort, mais surtout pour que ça se voie.

(Se) promouvoir, (se) vendre, s’autocongratuler, en boucle.

Cirer des pompes, lécher des culs… pour se faire un « réseau ».

Une marée d’autoportraits dans des miroirs, de films de soi face à la webcam.

On est là pour soi, uniquement pour soi, pour façonner son visage à son gré dans ce livre virtuel à compte d’auteur.

Et c’est dans les méandres de ce réseau-là que ces mots ont été tout d’abord publiés. Mise en abîme. Vertige. Dégoût.

Mais on y retournera demain.