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Lignes de désir

Quelques phrases crues et nues griffonnées dans un train, inspirées par la nonchalance de l’instant, par le paysage qui défile.

Tout comme ces sillons rebelles creusés par le piétinement répété de citadins pressés d’atteindre un but, elles ne sont rien de moins que le chemin le plus logique et le plus direct entre le coeur et le corps.

Témoins de la liberté qu’on s’accorde de s’écarter de l’itinéraire imposé, ces lignes de désir strient l’âme tout comme elles redéfinissent l’espace urbain.

Le voyage

– Pourquoi sembles-tu préférer les aléas du voyage à la jouissance de la destination ?
– Peut-être parce que j’aime les départs, les envolées, les pas-à-pas, les chemins vertigineux ou de traverse, mais que je crains d’arriver…
– D’arriver où ?
– Quelque part, au bord, au bout. Tant que la destination n’est pas claire, le voyage ne mène nulle part en particulier, et partout. C’est là que je vais.
– Allons-y ensemble !
– Oui, partons

Ce n’est pas la fin du monde…

Ce n’est pas la fin du monde… 
…Ou peut-être que si. 

Quand vous vous levez et qu’il n’y a plus de café,
quand il y a encore du café, mais plus de cigarettes. 

Quand les escarpins de vos rêves sont hors de prix,
quand ils sont en solde et qu’il n’y a plus votre taille. 

Quand vous êtes en retard alors que personne ne vous attend,
quand vous arrivez enfin et que personne ne vous remarque.

Quand vos aisselles vous trahissent quand vous levez les bras,
quand vos amis font de même et que vous les baissez. 

Quand vous craignez de le croiser sans être maquillée,
quand le maquillage coule car vous ne le croisez plus. 

Quand il est toujours trop tôt ou trop tard,
quand le bon moment ne s’est jamais présenté.

Quand vous n’aviez plus rien à vous dire, 
quand vous n’avez pourtant pas su vous taire. 

Quand vous criez mais qu’on ne vous entend pas,
quand vous courez mais n’avancez pas. 

Quand la légèreté l’emporte sur la profondeur,
quand la gravité l’emporte sur la légèreté.

Quand votre coeur s’enflamme en vain,
quand il faut l’écraser pour l’éteindre. 

C’est la fin du monde…
…Ou peut-être que non. 

Les mots

Ceux qui s’insinuent,
sèment le doute,
qui attristent et égarent,

qui s’étirent vers une fin incertaine,
qui se cognent
au silence,

qui vont,
viennent
et s’écrasent.

Ceux qu’on libère dans un cri,
qui brillent comme une lame dans le noir,
qui sont comme un grand coeur qui bat,
qui font écho à nos voix intérieures,
et qui déchirent les voiles.

Un père pédant raconte à sa péronnelle de fille le jour de sa naissance

Le plus beau cadeau que mon père m’ait fait…. le récit de ma naissance.

Quand le dix-neuf le jour se leva sur Marseille,
Un mistral léger agitait le soleil.

Son souffle chevauchait les arbres du Prado
Et blanchissait à peine le bleu pâle des eaux
Où les îles émergeant dans le petit matin
Se couronnaient bientôt d’une frange d’étain.

Mars avait renoncé à son humeur fantasque
Et souriait enfin en soulevant son masque.
Et moi je m’éveillais songeant à mon labeur,
Esclave gémissant qui maudit son malheur.

O fortune sévère, ô destin tout-puissant
Qui avez fait de moi un vendeur de pansements!
J’allais par toute la ville grimpant les escaliers
Toujours suppliant et toujours humilié.

Ployant sous le fardeau de ces objets infâmes
J’écumais les cités en escroquant les femmes.
Victimes trop candides qui cassaient leurs croustilles
Et me donnaient trois francs pour nourrir ma famille.

Famille? Non, point encore, Car nous n’étions que deux,
Pauvres et innocents, pour tout dire, bienheureux,
Créatures ignorantes, soumises à la Nature
Qui nous poussa bientôt à la progéniture.

C’est pourquoi, ce jour-là, à Sainte-Marguerite,
Ta mère, la sainte femme, ô qu’elle a du mérite!,
Sur le petit lit blanc d’une modeste clinique
S’apprête à mettre au monde la maman de Loïc.

Oui, c’est le dix-neuf mars, et l’on m’en avertit.
Dans le tram, aussitôt, bondissant, je partis.
Il n’était pas six heures et le soleil encore
De ses rayons ultimes éclairait le décor.

La science n’avait point trouvé l’échographie,
Et le mystère régnait aux portes de la vie.
Tout revêtu de blanc, tout tremblant d’émotion
On me fit assister à la parturition
Sur l’ordre impératif d’une sévère sage-femme
Dont les yeux courroucés semblaient jeter des flammes.

O tu ne tardas point à venir en ce monde!
Tu semblais bien pressée de te joindre à la ronde.
Nous pleurâmes, je l’avoue, quand pour la première fois
Tes cris nous firent comprendre que nous étions bien trois.

C’était un dix-neuf mars, il y a vingt-neuf ans,
Le mistral en soufflant a fait fuir le temps
Mais la mer toujours s’illumine et se teint
Des feux éblouissants du soleil qui s’éteint.

Jean Armand, 19 mars 1995

Sous ma plume

Sous ma plume,
Chaque mot en devient une,
Jusqu’à tisser des ailes,
Pour voler jusqu’à toi,
T’envelopper,
T’emporter,
Te ramener.
T’aimer.

Sous ma plume,
Cette évidence brille,
Comme une lame,
Taillant dans l’absence,
Celle qui s’insinue,
Entre deux nuits,
Qui prend ses aises,
Se rit de nous.

Sous ma plume,
Mes draps se remplissent,
Palpitent et vivent,
J’y dessine nos corps,
J’y dépose nos âmes,
Je les froisse,
Je les marque
De notre odeur.

La voie du bas couture

Attiré par l’escarpin vertigineux, son regard s’arrête sur le talon. Ce n’est pas celui d’Achille, mais c’est néanmoins le point faible, la faille, la fracture. Autant appuyer dès le début là où ça fait mal. Pour voir. Si la douleur est supportée, si la fuite n’est pas instantanée, il relâchera l’étreinte, rassuré.

La couture du bas lui indique le chemin à suivre, le long du mollet. Une escalade périlleuse jusqu’au creux du genou. Une zone tendre, vulnérable, où l’on peut sentir battre le coeur. En une caresse, il en saisit l’affolement.

Il fait un bond en arrière, comme foudroyé. Le bas n’était pas censé palpiter. Il semble soudain animé d’une vie propre, et la couture lui évoque une cicatrice mal refermée, prête à rompre sous les assauts, pourtant infimes, de cette vie intérieure.

Un parfum

Quelques phéromones artificielles captées de trop près.
Mêlées aux relents du désir inavoué, elles enivrent.
Les pieds glissent, les gestes se perdent, se confondent.

On surnage en surface de cette peau qui électrise, qui fait écho.
On aimerait s’y noyer, mais le besoin d’air est finalement plus fort.
Pourtant, la réalité se brouille, les résolutions s’effacent.

Tour à tour violence et douceur, jouissances et peurs.
Des allers et des retours, des aléas et des retournements.
Des fuites sans suites, des élans toujours éphémères.

Cette absence qui hurle, ce silence qui nous poursuit.
Les regards qui se baisent, même si les mots s’affrontent.
Ces mots qui nous étranglent, qu’on crache, qu’on finit par vomir.

Abandonner ou s’abandonner?
Jusqu’au prochain nuage odorant.
Celui qui nous fera replonger.
Et recommencer.