Chronique genevoise : L’homme en noir

Il entame ses journées riveté à la terrasse de ce petit café presque sans nom. Une terrasse microscopique, avec ses tables jetées sur le trottoir étroit et coincées à l’angle de l’immeuble, dans une allée jonchée de feuilles mortes. En symbiose avec son livre, tête baissée, il semble s’être depuis longtemps affranchi du brouhaha ambiant. Les passants, les trams, les voitures, font visiblement un détour autour de la bulle dans laquelle il s’est réfugié.

De jour en jour, incluse dans la masse pressée des piétons anonymes, je lui jette un regard intrigué. Tantôt exposé à la poussière de la rue, tantôt protégé du vent dans la pénombre de l’allée, il lit. La mise est sombre et froissée, le cheveu n’ayant pas encore triomphé de ses errances nocturnes, la barbe comme rempart.

Recroquevillé dans un cocon de mots, habillé de pensées, il tourne les pages et allume sa cigarette comme au ralenti. Son corps semble replié sur lui-même, comme pour se fondre dans la ville, humer ses bruissements, mais sans attirer les regards étrangers ou intrusifs. Il est là, sans y être vraiment.

Et pourtant, c’est ainsi, dans son état d’ombre, qu’il s’est mis à exister à mes yeux. Il est immobile, et moi, je ne fais que passer, dans sa rue, dans sa vie, ou plutôt dans ce moment de vie. Un fantôme en mouvement, s’attardant sur un fantôme immobile. Et pourtant, il semble presque attendre que je vienne à lui et lui demande timidement: « Que lisez-vous? ».

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