Retrouvailles

Il était heureux. Après des décennies de vie bien remplie, il avait retrouvé son amour de jeunesse. Immédiatement, cela avait été une évidence. Pas besoin de jeu, de mots, pas de questionnements, de doutes ou de peurs. Des retrouvailles comme dans un rêve, comme on en voit dans les films, tellement cinématographiques qu’on a du mal à y croire. Trop beau, trop parfait, même sans ralenti, même sans musique de fond.

Lui-même aurait pu ne pas y croire, et pourtant il y avait cru. Il avait plongé dans ce bain d’amour retrouvé les yeux fermés et le cœur grand ouvert. Le doux regard qu’elle avait porté sur lui avait effacé en un instant le fossé des années perdues.

Son histoire m’a touchée et a fait écho à la mienne. La force du destin, qui se présente sans crier gare. Un simple email, qui m’avait fait soudain remonter dans le temps. « Es-tu Catherine, ma Catherine ? », me demandait-il 30 ans plus tard.

J’avais 15 ans, lui 16. Il ne parlait pas un mot de français, et moi pas un mot d’allemand, ou presque. Au grand désespoir de Mme Bartz, ma prof d’allemand au collège de Vallorbe. Et là, soudain, dans cette cour d’école allemande ou j’avais atterri pour une semaine d’observation, l’envie de parler la langue de Nena m’a submergée. C’est comme si 99 luftballons s’étaient gonflés dans mon petit cœur d’adolescente. Ses boucles noires, son regard intense, et son air renfrogné de mauvais garçon avaient révélé en moi une passion soudaine pour le Hochdeutsch. De voyages chaperonnés en échanges épistolaires laborieux, notre petite idylle presque platonique avait duré quelques mois, tout au plus.

30 ans plus tard, donc, celui qui m’écrit, puis se déplace depuis Francfort pour me retrouver est tout autre. Il n’est visiblement pas venu jusqu’à moi pour me parler de mes beaux yeux, ni même du passé. Nous sommes devant son hôtel genevois, et ce qu’il veut, c’est ce que nous avions éludé en 1981, c’est-à-dire faire (enfin) l’amour. Mais avec un petit, tout petit A. Un A comme « action ».

Nous ne sommes plus des gamins, après tout, et le chemin parcouru se doit d’être récompensé. La magie espérée et attendue de ces retrouvailles tardives doit se concrétiser à tout prix, si possible vite et bien. Pour pouvoir raconter la belle histoire, faire rêver ceux qui viendraient aux nouvelles. Pour ne pas devoir renoncer à témoigner d’une situation tellement romantique et cocasse. Que ne ferait-on pas pour se rendre intéressant !

Je ris aujourd’hui de ces émois post-adolescents tardifs, qui m’avaient paru à l’époque uniques et intenses. 30 plus tard, nous voulions que l’illusion perdure et nous faire croire que ces élans trépassés pourraient se transformer en une histoire d’adultes. Nos corps se sont agités, nos cœurs ont battu en désordre, nos voix se sont élevées en dissonance. Rien à voir, rien à faire, rien à vivre, rien à partager sinon des souvenirs diffus et décalés. Ces vaines gesticulations ont été pathétiques et inutiles, et ont fini par salir les quelques souvenirs de jeunesse qui s’étaient enjolivés au fil du temps grâce aux défaillances de nos mémoires.

De l’autre côté du miroir, elle et lui… eux. Ils s’en fichent d’être intéressants, ils ne veulent que s’aimer et rattraper le temps perdu. Ils vivent à fond, ils dansent, ils rient. A la vie, à la mort. C’est cette dernière qui a gagné, mais ce qu’il a vécu, il ne le revivra jamais, et elle restera à jamais à son doigt, et dans son cœur.

Laisser un commentaire