Archives mensuelles : janvier 2023

Les vieux bistrots

J’aime par-dessus tout les vieux bistrots laissés dans leur jus : les boiseries, l’ambiance sombre et feutrée, les banquettes usées, la déco poussiéreuse et bigarrée, les peintures murales passées, les affiches anciennes. Mais ces havres de paix hors du temps sont petit à petit remplacés par des bars lounges, des « concept food », des expériences vegan, des self services sans âme, ou autres usines à hamburgers « maison ».

Les retraités qui tapaient le carton ou les ouvriers qui ouvraient leur journée au ballon de blanc n’osent plus trop y mettre les pieds. Certains de ces lieux de vie et de rencontres improbables sont devenus des « aventures un peu folles entre potes » qui rêvaient d’ouvrir un resto original et différent, et qui sont finalement tous les mêmes, aseptisés et impersonnels.

Quand par chance vos pas vous guident vers un vrai bistrot à l’ancienne, prenez votre temps. Lancez une oeillade aguicheuse à votre moitié par-dessus le menu au cuir craquelé ; embrassez d’un coup d’oeil une multitude de possibilités roboratives ; tournez les pages avec gourmandise, ne sachant pas encore quelles merveilles vous attendent de l’autre côté.

Loin de ces QR codes qu’il faut scanner avec son téléphone (qu’on avait pourtant prévu de laisser au fond du sac) pour trouver un menu à scroller laborieusement, agrémenté de photos des plats façon kebab, enlevant par là tout le plaisir de la découverte visuelle, prélude indispensable à la découverte gustative.

Au moment de payer, pas besoin d’aller faire la queue côte à côte devant une improbable caisse positionnée près de l’entrée, et qui empêche tout jeu de séduction autour de l’addition. Le petit papier arrive jusqu’à votre table dans une pochette de cuir, votre main et la sienne s’avancent simultanément pour s’en saisir, se frôlent, les regards se troublent, jusqu’à ce que l’un des deux murmure « Laisse, c’est moi qui t’invite ».

En PS, quelques adresses que j’aime bien dans la région : le café Babel à Bardonnex, Au Renfort à Sézegnin, le café du Soleil au Petit-Saconnex, La Fontaine à Sezenove, l’auberge de Choully, l’auberge de Gy, l’auberge des Vieux-Chênes à Presinge, le Vieux-Carouge à Carouge, la Pinte Besson à Lausanne, le café de la Poste à Cully…

Retrouvailles

Il était heureux. Après des décennies de vie bien remplie, il avait retrouvé son amour de jeunesse. Immédiatement, cela avait été une évidence. Pas besoin de jeu, de mots, pas de questionnements, de doutes ou de peurs. Des retrouvailles comme dans un rêve, comme on en voit dans les films, tellement cinématographiques qu’on a du mal à y croire. Trop beau, trop parfait, même sans ralenti, même sans musique de fond.

Lui-même aurait pu ne pas y croire, et pourtant il y avait cru. Il avait plongé dans ce bain d’amour retrouvé les yeux fermés et le cœur grand ouvert. Le doux regard qu’elle avait porté sur lui avait effacé en un instant le fossé des années perdues.

Son histoire m’a touchée et a fait écho à la mienne. La force du destin, qui se présente sans crier gare. Un simple email, qui m’avait fait soudain remonter dans le temps. « Es-tu Catherine, ma Catherine ? », me demandait-il 30 ans plus tard.

J’avais 15 ans, lui 16. Il ne parlait pas un mot de français, et moi pas un mot d’allemand, ou presque. Au grand désespoir de Mme Bartz, ma prof d’allemand au collège de Vallorbe. Et là, soudain, dans cette cour d’école allemande ou j’avais atterri pour une semaine d’observation, l’envie de parler la langue de Nena m’a submergée. C’est comme si 99 luftballons s’étaient gonflés dans mon petit cœur d’adolescente. Ses boucles noires, son regard intense, et son air renfrogné de mauvais garçon avaient révélé en moi une passion soudaine pour le Hochdeutsch. De voyages chaperonnés en échanges épistolaires laborieux, notre petite idylle presque platonique avait duré quelques mois, tout au plus.

30 ans plus tard, donc, celui qui m’écrit, puis se déplace depuis Francfort pour me retrouver est tout autre. Il n’est visiblement pas venu jusqu’à moi pour me parler de mes beaux yeux, ni même du passé. Nous sommes devant son hôtel genevois, et ce qu’il veut, c’est ce que nous avions éludé en 1981, c’est-à-dire faire (enfin) l’amour. Mais avec un petit, tout petit A. Un A comme « action ».

Nous ne sommes plus des gamins, après tout, et le chemin parcouru se doit d’être récompensé. La magie espérée et attendue de ces retrouvailles tardives doit se concrétiser à tout prix, si possible vite et bien. Pour pouvoir raconter la belle histoire, faire rêver ceux qui viendraient aux nouvelles. Pour ne pas devoir renoncer à témoigner d’une situation tellement romantique et cocasse. Que ne ferait-on pas pour se rendre intéressant !

Je ris aujourd’hui de ces émois post-adolescents tardifs, qui m’avaient paru à l’époque uniques et intenses. 30 plus tard, nous voulions que l’illusion perdure et nous faire croire que ces élans trépassés pourraient se transformer en une histoire d’adultes. Nos corps se sont agités, nos cœurs ont battu en désordre, nos voix se sont élevées en dissonance. Rien à voir, rien à faire, rien à vivre, rien à partager sinon des souvenirs diffus et décalés. Ces vaines gesticulations ont été pathétiques et inutiles, et ont fini par salir les quelques souvenirs de jeunesse qui s’étaient enjolivés au fil du temps grâce aux défaillances de nos mémoires.

De l’autre côté du miroir, elle et lui… eux. Ils s’en fichent d’être intéressants, ils ne veulent que s’aimer et rattraper le temps perdu. Ils vivent à fond, ils dansent, ils rient. A la vie, à la mort. C’est cette dernière qui a gagné, mais ce qu’il a vécu, il ne le revivra jamais, et elle restera à jamais à son doigt, et dans son cœur.

Ode aux caissières

Ah, les supermarchés! J’entretiens avec eux une relation très particulière, faite de fascination et d’émerveillement. De crainte aussi, parfois, quand ils sont trop vastes ou trop fréquentés.

Quand je voyage, je les visite avec une grande curiosité, comme on entre dans un musée. Je m’attarde, m’interroge, admire, m’exclame, avant de remplir mon panier de nombreux produits inconnus (et donc forcément étranges) que j’étale ensuite avec bonheur sur le lit de ma chambre d’hôtel pour une découverte gustative. 

J’habite le même quartier depuis 30 ans, et fréquente au quotidien le supermarché qui est au pied de mon immeuble. J’y ai fait des milliers de passages, j’ai parcouru des centaines de kilomètres dans ses travées. Plusieurs employées y travaillent depuis mon installation à Chêne-Bougeries, toujours là, toujours souriantes, toujours motivées. 

Certaines caissières ont vu défiler ma vie: je suis passée devant leur tapis roulant avec le ventre rond, puis une poussette, à nouveau avec le ventre rond, un petit blondinet et une autre poussette. J’y suis passée triste ou gaie, esseulée ou avec un nouvel amoureux, décoiffée en survêtement ou apprêtée avant une sortie. Elles ont vu mes enfants grandir, puis devenir adultes. Avec toujours un mot gentil, un petite question personnelle…  « Alors votre cadet, on ne le voit plus, il a pris son envol ? Dire que je l’ai connu bébé ! ».

Ces femmes, je les côtoie depuis 30 ans pour certaines, mais je ne sais rien d’elles. Pour moi ce sont des « femmes-tronc », toujours assises, toujours en chemise réglementaire avec foulard. Au point que quand je les croise en dehors de leurs heures de travail, sur deux jambes et en tenue de ville, je les reconnais à peine. 

A l’heure de l’essor des caisses automatique, pensons à porter plus d’attention à ces personnes que l’on croise au quotidien, à les saluer, à leur sourire. Je suis allée à la Coop tout à l’heure et j’ai pris un peu plus de temps que d’habitude pour papoter avec la caissière entre deux bips sur les code-barres. Au point de faire perdre quelques minutes au client suivant, qui s’est mis à râler.

« Pour vivre un petit moment d’humanité, pas besoin d’en faire des caisses », me suis-je dit en attrapant mon sac de victuailles, le sourire aux lèvres. 

Lignes de désir

Quelques phrases crues et nues griffonnées dans un train, inspirées par la nonchalance de l’instant, par le paysage qui défile.

Tout comme ces sillons rebelles creusés par le piétinement répété de citadins pressés d’atteindre un but, elles ne sont rien de moins que le chemin le plus logique et le plus direct entre le coeur et le corps.

Témoins de la liberté qu’on s’accorde de s’écarter de l’itinéraire imposé, ces lignes de désir strient l’âme tout comme elles redéfinissent l’espace urbain.

Petite orchidée

Elle avait fait son petit effet, en arrivant à la fête dans son habit irisé et toute enrubannée. Epanouie, fleurie, parée de multiples boutons prometteurs, elle avait suscité l’admiration.

Elevée dans une serre 5 étoiles, elle avait timidement accepté de quitter sa chrysalide, l’orchidée papillon. Même si elle était en terre inconnue au lieu de pouvoir s’accrocher avec bonheur à un arbre tropical, elle y avait mis du sien. Il fallait qu’elle soit belle pour le jour J. Le jour où elle s’offrirait aux bons soins d’un amoureux ou d’une amoureuse des fleurs.

Mais voilà, une fois le champagne éclusé et les invités partis, elle a sans doute été oubliée dans un coin ; ou peut-être au contraire l’a-t-on trop entourée et trop abreuvée… Le fait est qu’une fois sa parure colorée tombée, la petite papillon pleine d’entrain n’était plus qu’un vilain amas de racines sèches entourant une maigre feuille un peu fripée.

Bonne à jeter, elle a été laissée pour morte au pied d’une benne à ordures, dans un triste écopoint submergé de bouteilles vides. C’est là que je l’ai rencontrée ; je me suis agenouillée auprès d’elle, j’ai délicatement saisi sa petite prison de plastique transparent, je l’ai soulevée et devant une mamie attendrie qui triait ses déchets en me regardant du coin de l’oeil, je lui ai parlé.

Dis-moi, tes fleurs étaient-elles blanches, jaunes, ou peut-être encore roses ? Elle ne peut pas me répondre, elle a oublié, sans doute. Malgré son mutisme (certainement dû au traumatisme de l’abandon), je l’ai adoptée.

Habillée d’un nouveau pot transparent en verre, plus large et plus confortable, idéalement située à côté d’une congénère en pleine forme, je la laisse se remettre de ses émotions. Tiens bon petite phalaenopsis !

Le carnet de moleskine

J’étais en randonnée, je me dandinais dans une salle de concert interlope ou j’étais en train de siroter un apéro en bonne compagnie. Et pourtant un flux ininterrompu d’idées, de bouts de phrases, de bons mots ou de formules bouillonnait sous mon crâne. Impossible à ignorer, encore moins à stopper. Ces pensées m’assaillaient, entre le riff de guitare d’un punk jurassien et le plateau d’huîtres.

Même en vacances, grande a été la tentation de laisser les mots rebelles s’échapper. Ils tournaient en rond à la recherche d’une sortie, mais l’oisiveté intellectuelle entrecoupée de fruits de mer représentant l’essentiel du programme de mes journées, le risque de les voir s’évacuer en ordre dispersé était palpable.

Pourtant, écrire sur tout et n’importe quoi -et même n’importe comment- est bon pour la tête, me disais-je, en attaquant gaillardement un raidillon trop vert pour la saison. J’ai mollement tenté de résister, mais mon petit carnet noir ne me quittant jamais, dès que j’étais dans le brouhaha d’un bistro ou dans la douce torpeur d’un voyage en train, je l’ouvrais, juste pour voir, comme on demande la carte des desserts quand on a plus faim.

Happée malgré moi par son appétit et sa volonté de donner un sens à sa vie de moleskine, je finissais toujours par en gribouiller les pages -d’une blancheur suspecte pour la saison- de mon écriture illisible de gauchère non contrariée. Un chaos de mots et de phrases décousues, témoins gênants et trop honnêtes de mon esprit embrumé en quête de clarté.

Je suis faible, je sais. Dès que j’aurai réussi à me relire et à donner un sens à ce cafouillis éparpillé, je vous ferai lire, promis.

Vive la chanson francophone !

Le Festival Voix de Fête est de retour du 20 au 26 mars ! Depuis 25 ans, il offre les plus belles scènes de la Ville aux artistes émergents ou confirmés d’expression francophone.

Il existe un vrai public à Genève pour la chanson, mais peu de lieux osent ouvrir leurs portes à ce genre musical. Trop risqué, trop pointu… ou au contraire trop populaire. Il est réputé délicat pour les salles genevoises, en dehors d’un festival bénéficiant d’une communication intense, de rentabiliser sans soutiens la venue d’artistes chantant en français, de Romandie ou d’ailleurs.

Voix de Fête répond avec talent à cette demande des artistes, et du public, toujours plus nombreux à apprécier sa programmation variée. C’est aussi un moment de rencontre important pour les professionnels du spectacle et les programmateurs, qui viennent humer les tendances, ferrer les découvertes.

On va retrouver également avec grand plaisir cette année Bars En Fête, le OFF du festival. Le concept de Bars en fête, ce sont des bars genevois qui accueillent pendant une dizaine de jours nos musiciens d’ici, mais aussi des artistes internationaux, français, belges, québécois. Le tout gratuitement, avec participation au chapeau.

Mais la mise en lumière à Genève de la foisonnante scène musicale francophone ne se limite pas à Voix de Fête ! C’est toute l’année que des associations luttent pour maintenir dans notre ville des concerts et festivals consacrés aux musiciens du cru. Pour exemple, le festival « La Teuf » qui a proposé à nouveau en 2022 des concerts tous les soirs entre Noël et Nouvel An. La petite association mobilise toute son énergie et son réseau pour nous faire découvrir des artistes souvent exceptionnels. Un réseau qui vit en dehors des salles classiques, qui est plus accessible, plus modulable, moins couteux. De vrais espaces de rencontres et de partage.

Alors, au plaisir de vous croiser fin mars, dans une grande salle comme dans un petit bar !

https://www.voixdefete.com/ (programmation 2023 en ligne)

https://barsenfete.net/ (programmation à venir)