Archives mensuelles : décembre 2022

Le voyage

– Pourquoi sembles-tu préférer les aléas du voyage à la jouissance de la destination ?
– Peut-être parce que j’aime les départs, les envolées, les pas-à-pas, les chemins vertigineux ou de traverse, mais que je crains d’arriver…
– D’arriver où ?
– Quelque part, au bord, au bout. Tant que la destination n’est pas claire, le voyage ne mène nulle part en particulier, et partout. C’est là que je vais.
– Allons-y ensemble !
– Oui, partons

Je regarde le foot

Je regarde le foot. Mais ne vous leurrez pas, cette passion ne s’éveille que ponctuellement, portée par la frénésie mondiale autour du ballon rond.

Peut-être que cela a toujours été simplement une réaction de survie: ne pas mettre mon couple hors jeu ou maintenir un fan de foot dans mes filets. Quel mâle n’a jamais sorti « Quoi? Tu aimes le foot? Mais tu es la femme parfaite! ». On n’est pas idiotes, on sait s’adapter.

Car pour marquer, il faut savoir concocter un savant mélange d’intérêt et d’ignorance. Quelques maigres connaissances ciblées, péniblement pêchées sur wikipedia la veille d’un match (il a bien récupéré machin, après sa fracture l’année dernière en Champion League), et une candeur trop mignonne (tu me rappelles ce qu’est exactement un hors jeu?) permettant de boire les explications de son chéri avec une admiration de bon aloi. Alors qu’on sait parfaitement ce qu’est un hors jeu. Enfin, à peu près. En gros.

Alors oui, prête pour les soirées bières-hurlements-chips sur le canapé pendant une période donnée (principalement la demi-finale et la finale), mais ne m’en parlez pas le reste du temps. Je m’en fiche. Vous ne me trouverez jamais au bord d’un petit terrain de foot du canton, un dimanche matin frisquet, pour le grand match retour Choulex/Bardonnex. Faut pas pousser, non plus.

Du bout des lèvres

La chirurgie esthétique du sexe féminin, déjà très pratiquée au USA et en France depuis plusieurs années, est en plein boom en Suisse Romande. On court peut-être avec du retard derrière les tendances les plus délirantes, mais on finit toujours malheureusement par les rattraper. 

L’idéal à atteindre pour les femmes ressemble donc à l’entrejambe d’une fillette de 10 ans. Avec l’épilation intégrale, la vaginoplastie et la nymphoplastie, elles n’ont plus d’excuse pour ne pas exhiber dans l’intimité un sexe lisse, un vagin serré, et des petites lèvres invisibles. L’entrejambe de Barbie sur lequel on aura dessiné un petit trait vertical, en somme. Est-ce à dire que ce sont les hommes qui tendent à imposer ce nouveau standard, et qu’ils sont tous des pédophiles réprimés ? Certainement pas. Et eux-mêmes subissent d’ailleurs des pressions similaires quant à la taille de leur sexe et les performances qu’il est censé accomplir.  

En effet, beaucoup de jeunes gens (filles et garçons) ont découvert ce qu’ils croient être la sexualité via la pornographie moderne et en ont fait leur référence, par défaut. A l’aube de leurs premiers ébats, ils sont déjà saturés d’images faussées, et leurs attentes sur le plan esthétique, envers eux-mêmes ou leur partenaire, sont parfois déphasées par rapport à la réalité des corps. 

Du côté des hommes, la taille et l’apparente vitalité permanente des phallus des acteurs X ne sont faits pour les rassurer, et mettent la barre très haut quant à leurs futures prouesses au lit. Au point qu’ils en viennent à singer systématiquement les chorégraphies du porno, par exemple en pratiquant la levrette la main sur la hanche, sans réaliser que c’est principalement destiné, dans les films, à libérer le champ pour la caméra. 

En ce qui concerne les femmes, l’accès facilité à la pornographie grâce à Internet leur a jeté au visage des vulves parfaites, d’ailleurs souvent retouchées quand il s’agit de photos. Couleur uniformisée, petits boutons dus à l’épilation ou au rasage effacés, plis atténués etc. Ces images trompeuses deviennent insidieusement la norme, tout comme les seins pointant vers le plafond même quand la femme est couchée sur le dos, ou encore les comportements de soumission sexuelle, avec éjaculation faciale obligatoire en point d’orgue.  

Le boom de la nymphoplastie s’inscrit dans ce contexte de quête du corps parfait sous toutes les coutures et dans tous les recoins intimes, condition incontournable pour plaire et avoir accès à une sexualité satisfaisante. On ne peut être qu’atterré en se baladant sur les forums consacrés à cette pratique. La majorité des questions ou témoignages émanent de très jeunes filles (15 ans seulement, pour certaines). Elles y parlent de « lèvres malformées », se trouvent « répugnantes » et manifestent systématiquement de la honte, au point de refuser tout contact intime. « Après l’opération, je me suis ouverte sur le monde », dit l’une d’elle (traduction, elle a enfin osé ouvrir les cuisses). Edifiant.

Du côté des cabinets et cliniques de chirurgie esthétique, on n’hésite pas à parler d' »hypertrophie » des petites lèvres, confortant ainsi les jeunes femmes complexées dans leur croyance qu’il s’agit bien là d’une malformation. Alors que les cas de réelle hypertrophie sont finalement rares. Mais on voit mal ces chirurgiens avouer aux patientes qui les consultent que leur sexe est normal, et que plus de 50% des femmes ont les petites lèvres qui dépassent plus ou moins. 

Pourtant, la rébellion est en marche! Le site « Make love not porn » s’est lancé dans une mission d’éducation en confrontant ce qui se passe dans les films pornos à la réalité des relations sexuelles. Le sculpteur Jamie McCartney a exposé 400 moulages de vulves de femmes, toutes différentes, où les petites lèvres saillantes sont nombreuses.

Montrer la réalité des relations sexuelles et des corps, sans tabou ni vulgarité, est peut-être le meilleur moyen de faire revenir sur terre ces jeunes gens complexés ou sous pression, leur faire accepter leur corps avec ses singularités, et leur permettre d’en jouir autrement que du bout des lèvres.