Archives mensuelles : novembre 2022

Nous sommes la solution

En 2013, j’ai fait le sacrifice ultime pour ma patrie, Genève. J’ai vendu ma voiture, acheté un abonnement de transports publics, un vélo, et des baskets.

J’ai pensé à ma belle ville, à ses rues encombrées, ses bouchons, à la pollution et au bruit. J’ai pensé à toutes celles et ceux qui n’ont pas d’autre choix que de prendre leur voiture au centre ville : les livreurs, les personnes handicapées, les parents de quintuplés, les fans d’Ikea, les riches Colognotes qui font le plein aux Halles de Rive, les taxis, les frontaliers n’habitant pas en face des gares du LEX, les artisans….

Par rapport à tous ces gens parfaitement légitimes sur nos routes, ma seule raison de me trouver parmi eux était de vouloir me déplacer d’un point A à un point B sans côtoyer mes semblables de trop près ; en fumant des clopes ; en écoutant la radio ; en rajustant mon rouge à lèvre aux feux rouges.

J’étais le problème. Je créais des bouchons dans lesquels ils se trouvaient pris. Ils pestaient contre moi, se demandant pourquoi « cette nana seule dans sa bagnole » ne prenait pas plutôt son vélo ou les TPG, pour leur laisser la place à eux, et faciliter leurs déplacements obligatoires, vitaux, sans alternatives.

Je les entendus, je les ai compris. Je me suis élégamment effacée devant leurs impératifs indiscutables, j’ai choisi de favoriser leur chère « liberté du choix du monde de transport », en sacrifiant la mienne. Je me suis imposé des trajets désagréables dans des bus surchauffés, bondés, saturés d’odeurs de sueurs et d’haleines fétides ; je suis allée à pied au travail tous les matins, 6 km parcourus même sous la pluie ou dans le vent ; j’ai enfourché mon vélo, avec appréhension, pour m’insérer dans un trafic agressif, dangereux, en ne soufflant un peu que lorsque mon chemin croisait enfin une piste cyclable.

Les automobilistes qui me frôlent, me coupent la route, m’insultent parfois, réalisent-ils que je pourrais encore être une des leurs, et occuper le précieux espace qu’ils réclament sur la route ? Réalisent-ils le sacrifice que je fais au quotidien, sans une chouette bagnole confortable et bien chauffée dans laquelle me poser pour arpenter la ville au ralenti, pare-choc contre pare-choc ?

Et si nous qui ne roulons pas en voiture en ville, décidions soudain que nous avons droit aussi à la liberté du choix du mode de transports ? Si nous boudions les TPG ; remisions nos vélos ; rangions nos baskets et achetions, louions, empruntions une voiture pour nous lancer tous ensemble dans les rues de Genève, qu’adviendrait-il ? Un blocage complet. 

Alors, au lieu de nous insulter, de vouloir nous taxer, nous amender, les automobilistes devraient nous dire merci. Merci de leur laisser la majorité de la route pour pouvoir créer leurs propres bouchons, sans notre participation. Parce que nous, usagers des TPG, cyclistes et marcheurs, sommes la solution. 

Quoi de neuf ?

Avec Facebook, le réel et le virtuel sont aujourd’hui imbriqués et interdépendants, s’alimentant ou s’annulant mutuellement. La moindre petite action sur le réseau peut influencer les vraies relations. Le virtuel encourage et favorise aussi les rencontres réelles, et les liens créés sont immédiatement forts.

Car Facebook est un miroir de nos valeurs, nos pensées, nos croyances, nos talents. Mais aussi de nos indignations, nos colères, nos faiblesses, nos bêtises. Le contact entre ces deux univers parallèles peut créer certains paradoxes… En voici quelques-uns:

Le virtuel alimente le réel.
Quand on voit ses amis, on parle de ce qu’on a publié sur Facebook et des conversations que l’on y a tenu.

L’absence virtuelle doit être justifiée.
Quand on veut s’éloigner un peu de Facebook, on appelle ses amis pour les prévenir, pour qu’ils ne s’inquiètent pas.

Le sentiment de connaître l’autre permet d’aller à l’essentiel, mais casse le plaisir de la découverte.
Quand on rencontre pour la première fois un de ses amis Facebook, tout ce qu’on raconte sur soi se voit immédiatement commenté par un « je sais, je l’ai vu sur ton profil ».

Nos actions sur Facebook sont disséquées, interprétées.
Un simple « like » devient une reconnaissance de l’autre, une manière de montrer qu’on pense à lui/elle. De même, l’absence de « like » peut être perçue comme de l’indifférence, un abandon.

Le privé ne nourrit d’une exposition publique.
Une message que l’on veut adresser à une seule personne se trouve amplifié et prend des allures dramatiques sous la forme d’un statut cryptique lâché publiquement. Paradoxalement, le fait que tous peuvent le voir mais sans pouvoir le comprendre procure un plaisir pervers à celui qui le publie.

L’expression « quoi de neuf? » n’a plus de sens.
Quand on se voit, on le sait déjà. Les photos de vacances, le statut sur sa grippe, ou les affres de la rupture ont déjà été publiés.

Tenez, c’est cadeau !

Aujourd’hui, c’est le « Black Friday ». Une journée de pure folie acheteuse, symptomatique de notre société malade. Aveugles et sourds à leurs vrais besoins et désirs, des milliers de consommateurs se ruent dans les magasins dès le petit matin, pour ne surtout pas rater une bonne affaire, n’importe laquelle.

Je constate que de nombreuses personnes dans mon entourage s’interrogent, se plaignent de ces obligations mercantiles, et émettent le souhait de sortir de cette spirale infernale. Pourtant peu sautent le pas. Le poids des conventions sociales autour du cadeau reste bien trop fort. Notre société nous laisse croire que notre propre valeur, et la valeur de notre relation aux autres, se reflètent dans le prix de ce que nous offrons. Ne voulant pas passer pour pingre ou peu impliqué émotionnellement, nous tombons dans le panneau et nous nous précipitons à contrecoeur dans des magasins bondés et surchauffés, plus guidés dans nos recherches par la crainte de ne pas plaire que par le désir de vraiment faire plaisir. Est-ce vraiment dans ces conditions que l’acte de donner et recevoir prend son sens? 

Et si l’on cherchait d’autres voies, d’autres idées? Il suffit parfois de ne décaler que légèrement les codes imposés, et d’accompagner le cadeau d’un partage de sa réflexion, de sa démarche… Plutôt qu’un objet de valeur, vous transmettrez ainsi vos vraies valeurs. Le temps perdu à courir dans les magasins à la recherche du « cadeau idéal »? Vos talents ou aptitudes? Des objets chéris, avec une histoire, mais négligés? Offrez-les, tout simplement. 

En ne dépensant rien:

Un livre que vous avez déjà lu, et aimé,
Une bague que vous ne portez plus,
Une écharpe encore habitée par votre parfum,
Un dessin, un poème, une photo, 
Un cahier avec toutes vos recettes de cuisine secrètes et familiales,
N’importe quel objet que vous possédez mais que vous êtes prêt à laisser vivre ailleurs. 

En dépensant peu, mais bien:

Une soirée partagée au théâtre,
Une confiture faite maison, avec une étiquette personnalisée,
Un mélange d’épices que vous avez imaginé comme on peint un tableau,
Une bonne bouteille à déguster ensemble,
N’importe quel cadeau, même modeste, qui laissera un souvenir, des sensations. 

Ce que vous avez de plus précieux, votre temps:

Une longue balade en forêt pour faire découvrir votre coin à champignons,
Un après-midi au musée, en prenant le temps, ensemble, de s’émerveiller, de s’interroger,
Une soirée à garder les enfants de vos amis, pour qu’ils puissent s’offrir un moment en tête à tête,
Vos talents de bricoleur pour des tableaux à accrocher ou une étagère à monter,
N’importe quel moment de votre vie que vous libérez, sans obligations, et surtout sans smartphone, pour être avec l’autre, ou faire quelque chose pour lui/elle. 

Leçon de morale? Peut-être, mais surtout, cri du coeur. Prenez donc ce billet comme un cadeau, il ne m’a rien coûté financièrement parlant, et j’y ai consacré un peu de mon temps. 

Souvenirs d’une immigrée illégale

Marseillaise adoptée par la Suisse en 1972, j’ai obtenu le passeport rouge à croix blanche en 1991. Entre-temps, j’ai découvert que les helvètes ne rigolaient pas avec l’immigration.

Alors que je rentrais de mon super boulot dans le marketing, que je rejoignais mon très mignon petit appartement avec jardinet dans ma jolie Golf offerte par mes parents, bref, que ma petite vie en Suisse coulait comme de la fondue sur un morceau de pain, je reçus par courrier recommandé un avis d’expulsion du territoire, avec un préavis d’un mois.

Pourtant je n’avais commis aucun crime majeur, comme me moquer des suisses allemands ou dire publiquement que le gruyère a des trous. Je n’avais pas l’accent marseillais, préfèrais le vin vaudois au pastis et disais « de bleu de bleu » au lieu de « o fan de chichoune ». Une intégration parfaite, en somme. Et pourtant…

Je suis la fille d’un douanier français installé à l’époque à Vallorbe. A la faveur d’une convention franco-suisse, ces fonctionnaires (et leurs familles) avaient le choix de vivre sur le territoire suisse, toucher leur salaire en francs suisses, scolariser leurs enfants en Suisse, et ce sans permis officiel d’aucune sorte. Une sorte de statut d’ambassade du pauvre, quoi. Je volais depuis mon arrivée en Suisse sur cette convention comme sur un tapis volant, et un simple petit papier collé dans mon passeport français m’ouvrait toutes les portes de ce petit eldorado.

Sauf qu’un jour, la Confédération réalisa soudain que je n’étais plus la fifille à son papa. Majeure et plus aux études, la convention magique ne me protégeait plus, et je devenais une immigrée illégale. Pas de permis, pas de statut. Un mouton noir, comme celui qui se prend des coups de pieds au cul par ceux, bien blancs, de l’UDC.

L’incident diplomatique fut finalement évité, après quelques échanges de courriers bien sentis entre le gouvernement français et la Confédération. Une jurisprudence rédigée à la hâte m’accorda un permis B (pas C, faut pas pousser non plus, je restais une étrangère suspecte devant faire ses preuves). Il faut croire qu’avant moi, tous les enfants de ces douaniers au statut étrange avaient choisi de s’établir en France, et que le « cas » ne s’était jamais présenté.

Il n’empêche qu’en attendant l’aboutissement des négociations internationales, j’ai vécu quelques mois dans la crainte d’une expulsion, plus rien dans ma vie n’étant stable ou garanti. Mon employeur montrait quelques signes de nervosité, malgré mes « je vous jure, j’aurai bientôt le droit de travailler légalement chez vous… enfin, si tout va bien ». Je pouvais être à tout moment sortie de mon lit à 6 heures du matin par la police pour être mise de force dans un avion pour le tiers-monde (Annemasse ou Pontarlier), menottes aux poignets.

Comment aurais-je survécu dans ce pays dont je suis issue mais dont je ne maîtrise aucune des subtilités linguistiques (SICAV, UMP, PAF, GDF)?

Plus welsche, tu meurs

Je suis welsche d’adoption depuis 1972. Ca ne date certes pas d’hier, et malgré six premières années sous d’autres cieux, je me sens aujourd’hui profondément romande, et fière de l’être, quoiqu’en dise la peu respectable WeltWoche. Pourtant, avec mon origine marseillaise, et mon éducation au sein d’une famille pied noir d’Algérie, vous les romands, vous êtes un peu mes Suisses allemands. Comme quoi, on est toujours le bourbine de quelqu’un. Question de point de vue.

Il faut dire que je n’ai peut-être pas abordé le sujet par son angle le plus latin ni le plus festif, à savoir le canton de Vaud. Et même le Jura vaudois, Vallorbe pour être plus précise. Considérés comme les totos de ceux du Gros-de-Vaud, eux-mêmes les schtôbirnes des Lausannois. Avec au final l’ensemble des Vaudois n’étant rien d’autre que les casques à boulons des Genevois.

Le fameux röstigraben bien aligné serait donc un leurre. En Suisse, les patates rapées s’étalent dans tous les coins, et forment une multitude de frontières graisseuses et glissantes sur lesquelles, vu la taille du pays, on bute à chaque pas. Car c’est bien simple, on se déteste tous. Bâlois contre Zürichois, Vaudois contre Genevois, Jurassiens contre Bernois, et bien entendu les trois cantons primitifs contre tous les autres. Seuls outsiders, les Appenzellois dont tout le monde se moque, et les Tessinois dont tout le monde se fout.

Le seul point sur lequel 25 cantons semblent parfaitement s’entendre est leur mépris total pour le 26ème: Genève. Plus welsches que welsches, ces frondeurs incontrôlables, cernés et pénétrés par des voisins encore plus infréquentables, alimentent à eux seuls la plupart des cauchemars les plus sombres non seulement des alémaniques, mais aussi des autres cantons romands, bien plus propres sur eux.

C’est peut-être ce qui m’a naturellement poussée, en bonne latine flemmarde, râleuse, bordélique et portée sur le pastis, à finalement trouver refuge au bout du lac Léman. Les contradictions et excès multiples de cette petite verrue excentrée me rappelant sans doute inconsciemment l’ambiance régnant autour du Vieux Port de la cité phocéenne.

Les rats du Panier, les magouilles du Prado, les brigands du Frioul, les cadavres abandonnés aux Goudes, tout y est, ou presque. Ne manque que la fameuse sardine pour boucher l’entrée du port. Mais c’est uniquement parce qu’à Berne, on rechigne à payer pour un serpent de mer plus très frais et cher au kilo.

En réalité, pour être honnête, le vrai röstigraben court donc le long de la Versoix. Genève d’un côté, le reste de la Suisse de l’autre. Et même si je hurle souvent avec ma meute d’adoption contre nos célèbres Genferei, je me sens pourtant profondément du bon côté de la ligne de tubercules. Celui le plus proche de Marseille.