En 2013, j’ai fait le sacrifice ultime pour ma patrie, Genève. J’ai vendu ma voiture, acheté un abonnement de transports publics, un vélo, et des baskets.
J’ai pensé à ma belle ville, à ses rues encombrées, ses bouchons, à la pollution et au bruit. J’ai pensé à toutes celles et ceux qui n’ont pas d’autre choix que de prendre leur voiture au centre ville : les livreurs, les personnes handicapées, les parents de quintuplés, les fans d’Ikea, les riches Colognotes qui font le plein aux Halles de Rive, les taxis, les frontaliers n’habitant pas en face des gares du LEX, les artisans….
Par rapport à tous ces gens parfaitement légitimes sur nos routes, ma seule raison de me trouver parmi eux était de vouloir me déplacer d’un point A à un point B sans côtoyer mes semblables de trop près ; en fumant des clopes ; en écoutant la radio ; en rajustant mon rouge à lèvre aux feux rouges.
J’étais le problème. Je créais des bouchons dans lesquels ils se trouvaient pris. Ils pestaient contre moi, se demandant pourquoi « cette nana seule dans sa bagnole » ne prenait pas plutôt son vélo ou les TPG, pour leur laisser la place à eux, et faciliter leurs déplacements obligatoires, vitaux, sans alternatives.
Je les entendus, je les ai compris. Je me suis élégamment effacée devant leurs impératifs indiscutables, j’ai choisi de favoriser leur chère « liberté du choix du monde de transport », en sacrifiant la mienne. Je me suis imposé des trajets désagréables dans des bus surchauffés, bondés, saturés d’odeurs de sueurs et d’haleines fétides ; je suis allée à pied au travail tous les matins, 6 km parcourus même sous la pluie ou dans le vent ; j’ai enfourché mon vélo, avec appréhension, pour m’insérer dans un trafic agressif, dangereux, en ne soufflant un peu que lorsque mon chemin croisait enfin une piste cyclable.
Les automobilistes qui me frôlent, me coupent la route, m’insultent parfois, réalisent-ils que je pourrais encore être une des leurs, et occuper le précieux espace qu’ils réclament sur la route ? Réalisent-ils le sacrifice que je fais au quotidien, sans une chouette bagnole confortable et bien chauffée dans laquelle me poser pour arpenter la ville au ralenti, pare-choc contre pare-choc ?
Et si nous qui ne roulons pas en voiture en ville, décidions soudain que nous avons droit aussi à la liberté du choix du mode de transports ? Si nous boudions les TPG ; remisions nos vélos ; rangions nos baskets et achetions, louions, empruntions une voiture pour nous lancer tous ensemble dans les rues de Genève, qu’adviendrait-il ? Un blocage complet.
Alors, au lieu de nous insulter, de vouloir nous taxer, nous amender, les automobilistes devraient nous dire merci. Merci de leur laisser la majorité de la route pour pouvoir créer leurs propres bouchons, sans notre participation. Parce que nous, usagers des TPG, cyclistes et marcheurs, sommes la solution.