Archives mensuelles : mars 2018

Se regarder vivre

On se suit. Pas dans la rue, non. Pas de pas pressés qui battent le bitume, de talons qui claquent, de regards furtifs, d’accostages, de rencontres. On se suit, mais sur facebook, Twitter, Instagram, Pinterest, Google+ même, pour les plus solitaires. On se regarde vivre, et par là on croit se connaître. Parfois même on se connaît vraiment, mais on ne s’appelle pas, on ne se voit pas. Nul besoin, puisqu’on se suit.

En pathétiques et vaines gesticulations rythmées par les clics de souris et les touches effleurées, ces êtres au teint bleui par la lumière artificielle ne poursuivent que des ombres, des reflets, des écrans de fumée. Ils ne cernent rien, ne saisissent rien entre leurs doigts endoloris. Les présences virtuelles, en mots qui enjolivent et images qui mentent, leur glissent entre les phalanges.

Tous ces courts métrages de présents pétris d’exagérations et de faux-semblants sont projetés en miroir, à destination d’amis suiveurs avides. On se rassure, on remplit des murs, on jette des pensées pré-mâchées en pâture, on montre tout ce qu’on voit, filtré, encadré, et en format carré. Tout se ressemble, se mélange. Mais ça remplit son office, celui de remplir tout court.

Le sens, pixellisé, s’est dilué, puis perdu. Mais tant qu’on se suit, on garde l’illusion du lien, et on contourne sa solitude. On ne s’est pas appelés, on ne s’est pas vus, on ne s’est pas humés, on ne s’est pas touchés, on ne s’est pas aimés. On se regarde vivre.