Archives mensuelles : février 2016

Cassés au montage

Quand vous participez à une émission de télé réalité, vous acceptez d’abandonner tout droit sur votre image. La moindre de vos phrases, de vos expressions faciales ou de vos attitudes corporelles pourra être (et sera, n’en doutez pas) exploitée et détournée. On se fiche de qui vous êtes et de ce que vous pensez. Vous n’êtes là que pour entrer dans la peau d’un personnage prédéfini dans le scénario, et si vous êtes choisi au casting, c’est uniquement pour votre capacité à être facilement modelé en conséquence.

C’est la mésaventure qu’ont vécue récemment des participants à « L’amour est dans le pré« . Outrés de se voir « caricaturés » dans le produit final, ils ont poussé de hauts cris dans la presse. Dany est un macho imbu de lui-même, Karine et Patricia sont des filles précieuses, incapables de travailler dans une ferme. C’était écrit. Et c’est ce qu’on a pu voir grâce à un montage savamment orienté, et entendre, grâce à un commentaire off sarcastique et moqueur ne leur laissant aucune chance.

Je peux comprendre leur colère, ayant moi-même vécu une expérience similaire en participant à « Vis ma vie », émission de TF1 présentée par Laurence Ferrari, consistant à plonger une personne dans un univers qu’elle abhorre ou qu’elle n’arrive pas à comprendre. En l’occurence le métier d’hôtesse de l’air. Les coulisses du tournage et les pièges du montage, je peux donc vous en parler en toute connaissance de cause.

Tout d’abord, soyez conscients que vous « offrez » à la production des dizaines d’heures d’images de vous dans toutes les situations et dans tous les états émotionnels possibles. Fatigué, boudeur, pensif, fâché, vous le serez forcément à un moment ou à un autre, et cela n’échappera jamais au caméraman. Souriant, drôle, agréable, serviable, vous le serez aussi, parfois même encore plus souvent, mais rien n’oblige la production à utiliser ces moments-là, s’ils ne servent pas le scénario.

Mon personnage? Une femme étroite d’esprit qui juge sévèrement un métier pourtant noble et qui refuse obstinément de voir ses bons côtés. Le personnel naviguant devant pour sa part être montré comme dévoué, patient, ouvert, courageux. Lors du casting, j’ai donné ce qu’on attendait de moi, en qualifiant les hôtesses de l’air de « boniches dans un avion ». La réalisatrice jubilait: « c’est parfait, j’adore, il faudra aboslument revenir là-dessus devant la caméra et sur le plateau, et même en rajouter! ».

Pendant le tournage, la pression psychologique est forte pour qu’on fournisse la prestation attendue. Insidieusement, la caméra s’éteint quand on ne joue pas le jeu, et se rapproche dès qu’on colle au scénario. On nous pose des questions orientées, et seules nos réponses, parfois tronquées, sont gardées. Il est formellement interdit de parler du sujet ou de ce qu’on est en train de vivre quand la caméra ne tourne pas, sous peine de devoir « rejouer » des scènes ou des échanges intéressants. Petit à petit, au fil des jours, on adapte insconsciemment son comportement, et on en oublie presque la caméra (que l’on doit d’ailleurs ignorer totalement). On joue, on se donne, on fournit.

Bons petits soldats, on est d’autant plus fâchés de se découvrir ensuite « cassés au montage ». Mais il faut être bien naïfs pour imaginer que l’objectif de ces émissions est de nous montrer sous notre meilleur jour ou même de nous ménager. On a signé pour être modelés, détournés, caricaturés, ridiculisés si possible, bref, pour devenir de la « chair à télé ».

Pour voir le reportage: http://youtu.be/687O1dJqprs