Archives mensuelles : février 2012

Les Louboutin, un symbole politique

Effrontée, audacieuse, fashionista, insolente, combative. Etonnantes, flashy, flamboyantes… Ce sont là quelques qualificatifs glanés dans les médias français après le meeting de Nicolas Sarkozy à Lille le 23 février dernier. Mais de qui et de quoi parle-t-on? Qui donc a réussi à voler à ce point la vedette au président? Rachida Dati et ses bottines rouges. « Un retour triomphant et remarqué » s’extasie même le 20 Minutes français.

Une information anecdotique et superficielle, certes, dans une campagne qui s’annonce par ailleurs sanglante (à l’image de la couleur des fameuse bottes), mais pas anodine pour autant. Rachida Dati aurait-elle eu droit à autant d’attention de la part des médias si elle avait porté ce jour-là des chaussures plates passe-partout? Certainement pas. Et l’on ne parle pas de Gala ou Elle, mais bien de LibérationLe Point ou L’Express.

Mais n’était-ce pas là justement l’objectif de « Rachida la scandaleuse », comme on l’appelle parfois? Porter des Louboutin rouge sang à talons de 12 cm lors de sa première apparition dans la campagne présidentielle est une provocation bien calculée et un message clair. « Ah bon? On parle de mes chaussures? » semble s’étonner l’ancienne Garde des Sceaux. Mais s’il est une femme politique consciente de ses atouts physiques et de l’importance de son apparence, et qui n’hésite pas à s’en servir, c’est bien elle. « Rachida Dati n’est pas de celles qui se font petites lorsqu’on leur redonne une chance d’être dans la lumière », souligne par ailleurs Le Point.

N’ayant pas de rôle ou de poste officiel dans la campagne présidentielle, et de nombreux adversaires au sein de l’UMP, Rachida est pourtant présente, à la demande du président lui-même. Et ce retour surprise sur le devant de la scène fait grincer des dents dans les rangs sarkozistes. « Elle ne va pas devenir l’égérie de la campagne » lâchent, visiblement inquiets, ses détracteurs dans Le Monde. Dès lors, sa présence au meeting de Lille, et le fait qu’elle puisse s’y exprimer, était une chance unique pour elle de marquer un point dès le départ.

De ses mots d’introduction devant 10’000 personnes, on ne saura pourtant pas grand chose. « Qu’importe le discours, qu’importe l’énergie déployée au micro, on ne voyait que les talons aiguilles d’un rouge insolent », affirme Le Point. La parole est passée complètement au second plan, au profit d’un fébrile questionnement quant à la marque des bottes. Louboutin ou pas Louboutin? Si oui, quel modèle? Depuis le 23 février, les magazines de mode en ligne tentent de répondre à cette question vitale, photos comparatives à l’appui.

Ces Louboutin-là ont donc valeur de symbole. Depuis la tribune, Rachida répond à ses ennemis à coups de talons rouges: « Je suis là, il faudra compter avec moi, je suis prête à faire le show, et je ferai tout pour vous voler la vedette ». Pari réussi, on ne parle plus que d’elle. Bien qu’ayant été longtemps en disgrâce, elle a montré avec brio qu’elle ne comptait pas rester dans ses petits souliers ces prochains mois.

La peur du vide virtuel

Etranges réactions que celles constatées après avoir entièrement vidé mon profil facebook de 5 années d’activité intense. Incompréhension, méfiance, regrets. Mais aussi félicitations et remerciements de donner cette impulsion, cet exemple. Ne maintenir que 2 ou 3 publications, et supprimer au fur et à mesure les posts datant de plus de 24h n’est pas anodin. On impose un nouveau rythme, celui de l’instantanéité, sans histoire, sans traces. Et ça dérange. Sur facebook, on aime garder, compiler. On aime fouiller, chercher, retracer, parcourir. On aime surveiller, espionner. Par là, on croit connaître, maîtriser.

Il semble que certains se sentent dépossédés ou même trahis par la suppression quotidienne de mes publications. On coupe net des conversations lancées sur notre mur. On ne laisse pas le temps aux retardataires de réagir. On accueille les visiteurs dans une zone qui devrait nous mettre à nu, mais qui se révèle presque, ou totalement, vierge. Et cela donne le vertige aux amis virtuels, parfois.

Ils pensaient découvrir facilement qui on est, ils n’en sauront rien, ou si peu. Notre histoire est redevenue la nôtre. Les preuves de nos états d’âme, de nos coups de gueule comme de nos coups de coeur, ont disparu. Seuls nos vrais amis, ceux qui les ont vécus avec nous, en vrai, s’en souviennent. Aucun CV compromettant pour les employeurs potentiels, aucune révélation croustillante pour les journalistes curieux, aucune information personnelle pour les dragueurs du net. Mais des échanges tout de même, des partages, au jour le jour.

Avec cette nouvelle approche, assez peu courante sur les réseaux sociaux, je nage dorénavant à contre courant. Elle m’a été inspirée par un autre profil, qui m’avait déstabilisée quand je l’avais découvert, il y a près de trois ans. Mais fascinée aussi. Aucune prise, sinon quelques photos. Présent sur le réseau social, tout en gardant une part de mystère. Tant à découvrir de l’autre, sans la petite phrase parasite, qui ponctue -et interrompt parfois- les conversations d’un « oui, je sais, je l’ai vu sur ton profil facebook ».

Ce contrôle de mon image virtuelle me titillait. C’était pour moi un objectif à atteindre. Un jour, je l’effacerai entièrement. Ce sera un lâcher-prise salutaire, lorsque j’aurai admis que ce que je suis va bien au-delà de ce que je montre. Et que ne rien montrer ne signifie pas ne pas être.

La prise de conscience a été difficile, dans un contexte houleux. Mais c’est chose faite, et je n’ai plus peur du vide virtuel.

Du bonheur en capsules

Le déménagement de la petite entreprise où je travaille a remis la question de la machine à café sur le tapis: Nespresso ou pas Nespresso? Ah, je rêvais de café en grains, bruyamment moulu à la minute et tassé à la main. J’ai perdu, ce sera Nespresso. Fini le simple jus pour se sortir vaguement du coltard. Me voilà membre privilégiée d’un club où l’on déguste avec ravissement de grands crus d’exception. Une expérience enivrante, un événement enrichissant, une aventure hors du commun.

Boire juste un café sans fermer les yeux ni frôler l’orgasme est devenu vulgaire, et nous vaudra un regard réprobateur de Georges Clooney. Pour ne pas passer pour un idiot, on se doit de reconnaître rien qu’à l’odeur si on a affaire à un arabica d’Amérique centrale ou à un Robusta indien, de commenter d’un air entendu les notes aromatiques (fruité vin, épicé, citronné, miel, céréale), d’apprécier avec les mots justes le caractère et le corps du nectar.

Le terrain avait été préparé depuis longtemps par Starbucks, qui avait déjà commencé à transformer la descente matinale de l’arabica en expérience unique. Pour pouvoir y commander son café, il fallait avoir potassé en avance les différentes origines, maîtriser les secrets de la torréfaction, et savoir qu’on ne disait plus « allongé », mais « Venti ». Bref, palabrer des plombes avec le « barista » et naviguer à vue parmi les choix multiples avant d’avoir en main un jus à CHF 7.-, à boire si possible par le petit trou d’un couvercle en plastique, tout en marchant (ben oui, on a pas trois minutes à perdre, hein, on est très occupés). Pendant que le péquenaud de base, non initié, continuait naïvement de siroter un bête petit noir à CHF 3.- commandé en une seconde et demi à la serveuse du troquet du coin.

Grâce à Nespresso, cette aventure du Café Ultime a pu enfin entrer dans nos maisons, dans nos entreprises. Plus besoin de se déplacer jusqu’au Starbucks, le frisson caféiné était enfin accessible dans l’intimité, ou autour de la table de réunion. Du bonheur dans une capsule, à portée de main. Des petits machins colorés qu’on ne trouve évidemment pas à l’épicerie qui est en bas de chez soi, ouverte jusqu’à minuit et tenue par des turcs. Ni à la Migros. Non, ce sont des capsules qu’on doit mériter, soit en passant avec révérence les portes du Temple du « What else », soit en devenant membre du club sur internet. Le vrai Café réservé aux initiés ne doit pas se trouver sous le sabot d’un cheval, comme on dit.

Mais le comptable de ma boîte me jure haut et fort que je serai comblée par tant d’arômes à sélectionner selon mon humeur du moment, et que je ne pourrai bientôt plus m’en passer. Grâce aux capsules magiques, je pourrai acheter ma résurrection à St Pierre après avoir pris un piano sur la tronche, et profiter ainsi tous les matins en arrivant au bureau du paradis terrestre made in Nestlé. Alors, soit.

– Tu me fais un café?
– Tu veux quelle capsule?
– Euh, je sais pas, juste un café, quoi…
– Bon, vu ton humeur, je sens que tu as besoin d’un Volluto qui révèle des notes douces et biscuitées, animées par une pointe d’acidité et une note fruitée.
– Mouais.

Un anthropomorphisme qui fait du bien

Un musher (conducteur de chiens de traîneau) victime d’un malaise cardiaque et tombé inconscient dans la neige a été « sauvé » par ses animaux, l’un le protégeant du froid tandis que d’autres partaient chercher du secours, a-t-on pu lire récemment dans la presse. Intelligents, aimants, protecteurs, héroïques même. Mais quels sont les faits bruts? Les huskies de l’attelage sont revenus seuls au point de départ, pendant que le cocker se couchait sur son maître. Sur le parking de départ du circuit, un autre musher voit l’attelage abandonné et part à la recherche de son conducteur.

Alors, les premiers ont-ils vraiment pris la décision d’aller chercher du secours pendant que le second a voulu sauver son maître en lui transmettant sa chaleur, sachant qu’il risquait la mort?

Ah c’est une belle histoire qui réchauffe le coeur, comme les aiment les médias et les amoureux des animaux. « Un fait divers qui nous réconforte dans l’idée que le chien est le meilleur ami de l’homme ». C’est surtout un joli cas d’anthropomorphisme galopant!

Oh, vous me direz, où est le mal ? C’est mignon comme tout, et ça ne mérite pas vraiment de s’en offusquer sur la blogosphère! Emerveillons-nous de l’intelligence et de la fidélité de la race canine, poussons un petit soupir accompagné d’un sourire béat, et passons à des sujets plus graves.

Mais ce petit fait divers démontre bien à quel point les nuances de langage choisies par les médias peuvent donner un éclairage particulier à un fait, prompt à faire fondre les mémés à toutous. Prenons quelques phrases glanées ça et là dans les médias français à ce sujet:

« Ils (les chiens) trouvent un musher polonais sur le parking de départ et l’alertent d’un problème en aboyant ». Les faits? Les chiens sont revenus à leur point de départ, ils sont donc sur le parking où se trouve cet autre musher, ce qui ne veut pas dire que les chiens l’aient cherché et trouvé dans un but précis. Les aboiements, sans doute générés par le stress de la situation anormale, sont vite interprétés comme une alerte volontaire pour signaler à l’homme un problème spécifique. Cette situation banale devient soudain le très dramatique et émouvant « Ils sont allés chercher du secours ».

On lit également que « l’un des chiens était resté avec lui pour le couvrir et le protéger du froid ». En l’occurence le chien de compagnie de l’homme, ne faisant donc pas partie de l’attelage. Et si c’était le contraire? L’instinct de survie peut avoir poussé l’animal à chercher une source de chaleur, celle-ci étant son maître inanimé. Que ça l’ait sauvé? Sans doute. Mais cela signifie-t-il que le cocker ait eu un comportement volontairement protecteur, sachant que la chaleur de son corps allait maintenir l’homme en vie? On aimerait tant le croire.

Autre fait divers du jour impliquant un chien « héroïque », et même dérive: A Herseaux, en Belgique, un chien a réveillé ses maîtres et leurs deux enfants alors que la maison était en proie aux flammes. La famille a pu sortir à temps, mais l’animal a péri, intoxiqué. « Le chien de la famille était heureusement là pour protéger ses proches. Le brave animal restera dans le coeur de cette famille comme celui qui a donné sa vie pour sauver la leur » lit-on. On en a les larmes aux yeux (mais c’est peut-être à l’évocation de la fumée). Le fameux toutou -paix à son âme canine- aurait-il pu aboyer seulement parce qu’il était paniqué et angoissé par le danger? Non, il a voulu, au péril de sa vie, réveiller à tout prix la famille pour qu’ils fuient les flammes. Soit.

Grâce à notre tendance naturelle à l’anthropomorphisme (qui consiste à attribuer des comportements ou des pensées humaines aux animaux, notamment), nous donnons du sens aux réactions instinctives et naturelles de nos compagnons à poils et leur prêtons volontiers des émotions, des ressentis, des sentiments et des intentions qu’ils n’ont peut-être pas.

Mais tant que cela nous permet de nous raconter de belles histoires…

L’invasion de l’EasyjetSet

Ils prennent un vol low cost comme d’autres prennent un taxi. Leur point commun? Ils vont faire la fête. Mais là où les seconds ne font que quelques kilomètres pour rejoindre un des clubs de leur ville, les premiers écument les grandes villes européennes où l’on sait s’amuser: Barcelone, Amsterdam, et surtout Berlin.

Pas fauchés mais un peu quand même, ces fêtards qui peuplent, souvent bruyamment, les vols d’EasyJet préfèrent s’offrir un aller-retour à Berlin ou Barcelone de temps en temps plutôt que de fréquenter tous les week-ends les clubs locaux, parfois peu attractifs ou hors de prix.

Ainsi, chaque fin de semaine, la compagnie aérienne transporte dans certaines grandes villes à la réputation festive des milliers de fêtards friands de techno ou d’électro, venus de toute l’Europe.

Le phénomène est tel qu’il a même un nom: l’EasyJetSet, contraction des mots EasyJet et Jet-Set. C’est dans les rues de Berlin que le néologisme a vu le jour. Il a ensuite été repris et « officialisé » par le journaliste musical Tobias Rapp, dans son livre « Lost and Sound: Berlin, Techno und der Easyjetset » paru en 2009, et qui aborde ce nouveau courant, entre analyse sociologique et reportage de terrain.

Car il faut se garder de sous-estimer cette tendance au clubbing nomade : en une dizaine d’années, l’EasyJetSetter est devenu un acteur déterminant de la culture nocturne européenne. A Berlin, ils sont aujourd’hui plus de 10’000 (selon une estimation de Tobias Rapp) à se déverser toutes les fins de semaine dans des clubs mythiques comme le Berghain ou le Tresor, sous les regards perplexes ou carrément hostiles des habitants. Mais comme le tourisme (fortement basé sur la vie nocturne) participe de façon significative à l’économie berlinoise, difficile de ne pas s’accommoder de cette tribu internationalisée de « fêtards de 72 heures ».

Mais qui sont donc les EasyJetSetters? De jeunes européens branchés, avec peu d’argent mais une grande endurance, prêts à faire la fête et à se saoûler plusieurs jours durant, en se délestant si possible de tous les interdits qui leur sont imposés chez eux. Ils écument les bars et les clubs, vomissent, jettent leurs bouteilles et crient dans la rue, avant de retourner dans leurs hôtels bas de gamme pour récupérer pendant la journée. Ce ne sont pas des touristes ordinaires, ils ont peu d’intérêt pour les villes elles-mêmes, leurs monuments ou leurs musées, et ne se gênent donc pas pour mal se comporter, sachant qu’ils reprendront l’avion dès le lendemain ou le surlendemain.

On peut constater avec quelques années de recul que l’existence de l’EasyJetSet a également eu des conséquences visibles sur le développement des villes concernées. Une multitude de bars, de clubs et d’hôtels eux aussi low cost ont poussé dans certains quartiers, transformant complètement leur ambiance ou leur aspect. C’est le cas du Kreutzberg de Berlin, où les petits commerces disparaissent de plus en plus pour laisser la place à des bars lounge colonisés principalement par les jeunes étrangers en goguette.

Derrière cette évolution urbaine locale (une forme de gentrification au profit du touriste nocturne) se cache un phénomène à une échelle plus globale. Certaines villes européennes ont pris, parfois malgré elles, le rôle de « downtown » à forte densité de lieux festifs, pendant que d’autres villes (celles dont sont originaires les fêtards voyageurs) jouent le rôle des banlieues ou quartiers résidentiels où l’on rentre se coucher, en avion, après avoir fait la fête.

Combien de temps cette tendance durera-t-elle, et jusqu’où ira-t-elle? Malgré l’apport économique important de cette nouvelle forme de « sous-culture » nomade, on constate une lassitude et une inquiétude certaines des habitants et des responsables politiques de ces cités devenues des clubs géants. A terme, c’est probablement l’augmentation du prix du kérosène, et donc la disparition de l’aviation vraiment low cost, qui sonnera le glas de ces comportements perturbateurs. On assistera alors dans certaines villes européennes de taille moyenne au retour des fils prodigues et, espérons-le, à un renouveau d’une vraie vie nocturne de proximité.