Aujourd’hui, la ligne de vie n’est plus dans la main, mais sur Facebook. Depuis quelques jours, la Timeline (ou journal en français), vous permet de transformer votre profil en une frise chronologique présentant un condensé de votre vie depuis la naissance. Non, pas de votre VIE, juste de l’histoire de votre vie connue de Facebook, telle que vous avez bien voulu la dire.
La Timeline démarre donc par votre naissance. Pour ensuite volontairement afficher un énorme trou entre celle-ci et votre inscription à facebook, laissant le sentiment qu’avant votre arrivée sur le réseau social, vous n’avez pas vraiment existé. Ce trou perturbant, vous pouvez même le combler, publier vos photos d’enfance, reconstituer votre vie pré-internet. Nourrir le monstre Facebook de tout ce qu’il n’a pas pu encore attraper, de tout ce qui a précédé son avènement. Car Facebook n’aime pas que vous ayez existé avant lui, c’est évident.
Ainsi, entre 1966 et fin 2007, pas d’amis virtuels, pas de partage de mes humeurs, de mes photos, de mes situations amoureuses. Et je suis bien heureuse d’avoir vécu les moments les plus marquants de ma vie à ce jour (mon mariage, la naissance de mes enfants) sans réseaux sociaux pour s’en faire l’écho. Etant une « hypercommunicatrice » (c’est mon métier après tout), je n’aurais certainement pas résisté à la tentation de tout partager online… bébé no1 qui se renverse un yaourt sur la tête, bébé no2 qui barbote dans la piscine, mari no1 qui pose devant un coucher de soleil. Tous ces souvenirs sont à moi, et uniquement à moi, bien rangés dans des albums physiques, sur une étagère. Et quand mes amis viennent à la maison, je ne les leur mets pas sur les genoux pour qu’ils les parcourent.
Oui, j’ai existé entre 1966 et 2007. Non, vous n’en saurez rien.
Mais plus j’avance en âge, plus mon passé (celui d’avant 2007 donc) devient flou, et les repères moins nombreux. Mes souvenirs se focalisent de plus en plus autour des photos, des lettres. Certains moments de vie dont il ne reste pas de trace physique commencent à se dissoudre et se perdre. Dès lors, ma Timeline rend ces dernières années d’une clarté que je n’ai jamais connue. Chaque publication est le point de départ d’une multitude de souvenirs, d’émotions partagées. Et les petits trous entre deux publications sont plus facilement comblés par mon cerveau stimulé par les impulsions de cette biographie numérique.
Ce passage de mon profil facebook à la forme de « journal intime » aura eu au moins un mérite: celui de m’ouvrir les yeux sur la quantité d’informations personnelles que j’ai pu partager volontairement avec mes (trop) nombreux amis virtuels. Inspirée par un de mes amis dont la Timeline est entièrement vide et qui supprime ses statuts après quelques heures, grande est la tentation de l’imiter, de tout effacer, tout vider.
En attendant, petit à petit, je nettoie cette Timeline indécente qui me met à nu. Je la purge des états d’âmes, des états amoureux, des émotions, pour n’y laisser que des informations sans conséquences. Un jour, je l’effacerai entièrement. Ce sera un lâcher-prise salutaire, lorsque j’aurai admis que ce que je suis va bien au-delà de ce que je montre. Et que ne rien montrer ne signifie pas ne pas être.