Archives mensuelles : décembre 2011

Le temps des résolutions

Culpabilité, faiblesse, procrastination… tout ce qui pousse à enfin être résolu à changer. A date fixe, chaque année. Une litanie ridicule, pathétique. Et finalement inutile.

Se débarrasser des mauvaises habitudes, arrêter de fumer, boire moins, même si on adore ça,

faire le ménage dans ses relations, et enfin virer les toxiques, même si on les aime bien, au fond,

se mettre au sport, commencer un régime, même si on se sent bien dans sa peau telle qu’on est,

appeler plus souvent sa grand-mère, même si elle n’entend plus rien de ce qu’on lui dit au téléphone,

partager plus de choses avec ses ados, même s’ils n’ont rien demandé,

cesser de choisir d’aimer des hommes complexes, même si on abhorre la banalité,

vouloir faire des économies, même si on sait qu’on ne gagnera pas plus…

Mais la résolution, par essence, s’effrite, se désagrège. Il ne restera bientôt que des regrets et la vague résolution renouvelée de faire mieux dès le 1er janvier suivant. Et le suivant.

Ou alors on y renonce, et on fume, on boit, on garde ses amis bizarres, on fait la larve, on bouffe, on délaisse sa grand-mère, on laisse ses ados glander, on l’aime malgré tout, et on dépense tout.

Portraits de Noël

Il y a ceux qui adorent les traditions. Ils ont une grande famille soudée (et certainement envahissante). Ils ne parlent que de ça depuis le début de l’Avent. Ils sont dans les starting blocks toute l’année, semble-t-il, mais le 1er décembre donne le départ d’une course effrénée, répétée, immuable. Plus on approche de la date fatidique, moins on les supporte: on connaît tout du menu, de la déco, des cadeaux, des invités, du déroulement de la soirée. Ils vivent Noël à fond, de l’intérieur. Et on s’en fout.

Il y a ceux qui s’aiment depuis peu. Se suffisant encore l’un à l’autre, ils passeront Noël en tête à tête. Chacun a trouvé des excuses pour s’extraire de ses obligations familiales, et leur soirée sera placée sous le signe de la magie de l’amour, magnifiée par la magie de Noël. Il lui offrira forcément un bijou (le bouquin, le robot ménager ou le bon cadeau, c’est pour plus tard). Elle lui offrira le parfum qu’il portait lors de leur rencontre, car il sera à jamais pour elle ce qu’il sentait ce soir-là.

Il y a ceux qui se séparent. Ils ne se supportent plus, mais ils vont maintenir les apparences, « pour les enfants ». Sa vie à elle est déjà ailleurs. Sa vie à lui est en miettes. Il vient de trouver un appartement, mais ne l’a pas encore investi. Aucun des deux ne veut réfléchir au menu, faire les courses, ils se disputent donc une dernière fois pour le partage des tâches de Noël. Elle a acheté seule tous les cadeaux des enfants, car il est perdu. Il ne sait pas. Quoi acheter, quoi cuisiner, quoi faire de sa vie chamboulée. Ce Noël sera pour leur couple le dernier.

Il y a ceux qui sont seuls. Ils redoutent la question « tu fais quoi le 24? ». A laquelle ils répondent vaguement « Oh, j’ai un truc de prévu ». Ils n’ont pas de famille, ou alors les liens se sont distendus. On sait qu’ils seront malheureux, que leur solitude leur sautera au visage, et les étranglera. Ils n’oseront pas se rendre dans une des fêtes organisées par les services sociaux, de peur d’y croiser une connaissance, d’être reconnus. Ils se promettent chaque année de faire du bénévolat, de mettre cette soirée au service des autres. Mais la date fatidique approchant, la déprime les terrasse et toute énergie les quitte. Ils seront seuls, encore une fois.

Il y a celle qui ne fête plus Noël. Elle est devenue allergique à tout ce qui touche de près ou de loin à la religion lorsque son époux (aujourd’hui ex-époux) a été touché par la grâce. Passant du mauvais garçon au religieux exalté, il lui a fait perdre ses repères. Pour maintenir sa famille soudée, elle a assisté à tous les cultes, à tous les groupes de lecture de la bible, elle a fait le catéchisme, elle a chanté dans le choeur de la paroisse. Avant de tout vomir, tout rejeter, et fuir. Pendant des années, elle a tout de même donné le change, fait des efforts, et organisé une soirée de Noël, pour les enfants. Aujourd’hui, plus de sapin, plus de cadeaux, plus de repas. Elle est libre.

Nue dans le « journal »

Aujourd’hui, la ligne de vie n’est plus dans la main, mais sur Facebook. Depuis quelques jours, la Timeline (ou journal en français), vous permet de transformer votre profil en une frise chronologique présentant un condensé de votre vie depuis la naissance. Non, pas de votre VIE, juste de l’histoire de votre vie connue de Facebook, telle que vous avez bien voulu la dire.

La Timeline démarre donc par votre naissance. Pour ensuite volontairement afficher un énorme trou entre celle-ci et votre inscription à facebook, laissant le sentiment qu’avant votre arrivée sur le réseau social, vous n’avez pas vraiment existé. Ce trou perturbant, vous pouvez même le combler, publier vos photos d’enfance, reconstituer votre vie pré-internet. Nourrir le monstre Facebook de tout ce qu’il n’a pas pu encore attraper, de tout ce qui a précédé son avènement. Car Facebook n’aime pas que vous ayez existé avant lui, c’est évident.

Ainsi, entre 1966 et fin 2007, pas d’amis virtuels, pas de partage de mes humeurs, de mes photos, de mes situations amoureuses. Et je suis bien heureuse d’avoir vécu les moments les plus marquants de ma vie à ce jour (mon mariage, la naissance de mes enfants) sans réseaux sociaux pour s’en faire l’écho. Etant une « hypercommunicatrice » (c’est mon métier après tout), je n’aurais certainement pas résisté à la tentation de tout partager online… bébé no1 qui se renverse un yaourt sur la tête, bébé no2 qui barbote dans la piscine, mari no1 qui pose devant un coucher de soleil. Tous ces souvenirs sont à moi, et uniquement à moi, bien rangés dans des albums physiques, sur une étagère. Et quand mes amis viennent à la maison, je ne les leur mets pas sur les genoux pour qu’ils les parcourent.

Oui, j’ai existé entre 1966 et 2007. Non, vous n’en saurez rien.

Mais plus j’avance en âge, plus mon passé (celui d’avant 2007 donc) devient flou, et les repères moins nombreux. Mes souvenirs se focalisent de plus en plus autour des photos, des lettres. Certains moments de vie dont il ne reste pas de trace physique commencent à se dissoudre et se perdre. Dès lors, ma Timeline rend ces dernières années d’une clarté que je n’ai jamais connue. Chaque publication est le point de départ d’une multitude de souvenirs, d’émotions partagées. Et les petits trous entre deux publications sont plus facilement comblés par mon cerveau stimulé par les impulsions de cette biographie numérique.

Ce passage de mon profil facebook à la forme de « journal intime » aura eu au moins un mérite: celui de m’ouvrir les yeux sur la quantité d’informations personnelles que j’ai pu partager volontairement avec mes (trop) nombreux amis virtuels. Inspirée par un de mes amis dont la Timeline est entièrement vide et qui supprime ses statuts après quelques heures, grande est la tentation de l’imiter, de tout effacer, tout vider.

En attendant, petit à petit, je nettoie cette Timeline indécente qui me met à nu. Je la purge des états d’âmes, des états amoureux, des émotions, pour n’y laisser que des informations sans conséquences. Un jour, je l’effacerai entièrement. Ce sera un lâcher-prise salutaire, lorsque j’aurai admis que ce que je suis va bien au-delà de ce que je montre. Et que ne rien montrer ne signifie pas ne pas être.

Ne fais pas attention au désordre…

« Ne fais pas attention au désordre », grogne mon ado,
sans lever les yeux de son match de foot virtuel.
Tout le mal-être de ses 16 ans étalé sur le sol, sur le lit.
Une explosion de linge, de bouteilles en pet, d’assiettes vides.
Je me retiens d’interpréter, de m’inquiéter, de ranger.
« Je m’y sens bien », assure-t-il.

« Ne fais pas attention au désordre » me prévient-il en ouvrant la porte.
C’était comme ça bien avant que j’arrive.
Une nature morte de restes de vie.
Deux verres à pied, dont un aux bords marqués de rouge.
Des mégots de Gauloises à peine entamées.
Des feuilles de papier froissées, souillées de mots rageurs.
« Reste, mais ne touche à rien », dit-il.

« Ne fais pas attention au désordre », me menacent les architectes.
Condition pour continuer de profiter de mon appartement après travaux.
La rénovation et la surélévation de mon immeuble sont pour le bien commun.
Deux ans d’ouvriers, d’échafaudages, de containers.
Un mois sans salle de bain, puis un mois sans cuisine.
« Vous aurez un point d’eau », me rassurent-ils.

« Ne fais pas attention au désordre », me disent les politiciens dans la presse.
Il faut s’armer de patience, paraît-il, pour s’adapter au chaos.
Les usagers des Transports publics sont des enfants gâtés.
Ils ne voient pas les avantages à long terme.
Et les TPG reçoivent de nombreux messages de félicitations.
Je me réfugie dans ma Matrix, et je fume dans les bouchons.
« Tout ira bien », disent-ils.

Photo : © Anthy Ioannides

Un parfum

Quelques phéromones artificielles captées de trop près.
Mêlées aux relents du désir inavoué, elles enivrent.
Les pieds glissent, les gestes se perdent, se confondent.

On surnage en surface de cette peau qui électrise, qui fait écho.
On aimerait s’y noyer, mais le besoin d’air est finalement plus fort.
Pourtant, la réalité se brouille, les résolutions s’effacent.

Tour à tour violence et douceur, jouissances et peurs.
Des allers et des retours, des aléas et des retournements.
Des fuites sans suites, des élans toujours éphémères.

Cette absence qui hurle, ce silence qui nous poursuit.
Les regards qui se baisent, même si les mots s’affrontent.
Ces mots qui nous étranglent, qu’on crache, qu’on finit par vomir.

Abandonner ou s’abandonner?
Jusqu’au prochain nuage odorant.
Celui qui nous fera replonger.
Et recommencer.